Rideau rouge (Le). Dir. André Barsacq (1952)
Patricia DORVAL
Partial English Description
The full credits and, eventually, the title, Le Rideau rouge (The Crimson Curtain), fade in and out over a massive Parisian playhouse, first built in 1922 and then known as The Montmartre. It was renamed The Théâtre de l’Atelier in 1921 by its new director, Charles Dullin, and the film was shot there in 1952. The building is monumentalized by a very slow zoom-in, as if the camera were impersonating some spectator strolling towards the building. The camera swivels just as slowly into a low-angle shot over a bunch of trees. It then cuts to the thick boughs of a lofty tree before it sweeps down to the left over another imposing building. On the door is a placard with the words “Criminal Brigade – Inspectors’ Office.” A man who will later be identified as the Assistant Inspector walks into the room with a springy step. He greets his superior, who has just spent the night cross-examining a suspect who would not confess his crime until the small hours of the morning. The Chief Inspector asks his Assistant for the morning paper, which he skims over before he comes across a column with a photo and caption: “Aurélia Nobli died yesterday at the central prison of Haguenau where she was serving her fifteen-year hard labour sentence. She had been condemned for complicity in the murder of the well-known actor/stage director, Lucien Bertal.” In response to his assistant’s queries, the Chief Inspector explains that it was a nasty business and that he feels surprised that the troupe should be putting on Macbett (as the play’s title is pronounced by the French actors) again in the very same theatre. The AI confesses that he has never heard of it. The Inspector tells him that it is a play by Shakespeare and that neither he nor his former assistant Gobinet had ever heard of it then either. They had both decided to read all the “chap’s plays” because they felt they owed him such an awful lot for his inadvertent assistance in the criminal proceedings. It was indeed thanks to the play that they had been able to “nab the culprits.” He then begins to relate the whole story to his new assistant: “It all started three years ago, when they were rehearsing the play… Macbett is a chap whose wife persuades him to murder another fellow so he can step into his shoes… And in real life, our two clients were to act likewise… because there were two of them, she and her lover.”
Description en français
La description qui suit et le time code utilisé sont basés sur la version Gaumont de 2011.
Le générique complet défile avec pour titre Le Rideau rouge et pour arrière-plan la bâtisse d’un théâtre (le théâtre de l’Atelier où le film est tourné). La caméra se rapproche de l’édifice à pas traînants avant de pivoter tout aussi lentement sur son axe en contre-plongée sur un bosquet d’arbres. Un changement de plan substitue à l’image première l’épaisse ramure d’un autre arbre avant qu’un panoramique latéral ne vienne balayer une autre bâtisse tout aussi massive. La caméra se focalise alors sur un écriteau sur lequel figure : « Brigade criminelle – Bureau des Inspecteurs ». Un homme (dont nous comprendrons qu’il est inspecteur-ajoint) entre d’un pas leste dans la pièce. Il salue son supérieur qui a passé la nuit avec un suspect qui n’a avoué qu’à cinq heures du matin. L’inspecteur demande à son adjoint le journal du matin qu’il parcourt rapidement. Il s’arrête sur un encadré : « Aurelia Nobli est morte hier à la prison centrale d’Haguenau, où elle purgeait une peine de 15 ans de travaux forcés. Elle avait été condamnée pour complicité dans l’assassinat du célèbre acteur - metteur en scène, Lucien Bertal ». Aux interrogations de son adjoint, l’inspecteur commente que c’était une salle histoire et s’étonne que la troupe reprenne Macbett au même théâtre. L’adjoint se dit ignorant et n’avoir jamais entendu parler de cette pièce. L’inspecteur lui explique que c’est une pièce de Shakespeare et que ni lui ni Gobinet (son adjoint de l’époque) n’en avaient jamais entendu parler non plus mais qu’ils avaient décidé de les lire toutes « les pièces de ce gars-là » car ils lui devaient une fière chandelle ; c’était grâce à la pièce qu’ils avaient pu « pincer les coupables ». Il se met alors à relater les faits pour le bénéfice de son nouvel adjoint : « Cette affaire-là, ça a débuté il y a trois ans comme ils venaient de reprendre la pièce ». Il poursuit : « Macbett est un type que sa femme pousse à assassiner un autre pour lui prendre sa place… Et dans la vie, nos deux clients allaient se mettre à en faire autant… parce qu’ils étaient deux, elle et son amant ».
Pendant que l’inspecteur poursuit en voix off (03.59) « Ils étaient en train de répéter la pièce, le jour du crime. C’est elle qui jouait Lady Macbett et son amant lui donnait la réplique », un changement de plan nous projette sans transition dans les coulisses, trois ans plus tôt, amalgame de cordes et de poulies, d’échelles, de chandeliers et autres éléments de décors. Si les chandelles peuvent être perçues comme un symbole de vie et de mort et si les cordes et les poulies évoquent la manipulation, le film s’attache avant tout à mettre en exergue les coulisses et ce qui s’y trame. Cet espace ainsi matérialisé est aussi un lieu ambigu, un entre-deux entre la scène et les coulisses, ouvert en l’absence de rideau, et donc un espace de circulation et d’échanges entre la scène où va se jouer la pièce de Shakespeare et le hors-scène où évolue la fiction première. Dans la version René Chateau, on entend les paroles off d’une femme : « Ce qui les a saoulés m’a rendue forte, ce qui les a endormis m’a éveillée, moi ». Cette réplique est occultée dans la version Gaumont par la voix off de l’inspecteur. La caméra descend des « combles » pour révéler un homme chapeauté en imperméable, l’air austère, qui écoute depuis l’arrière du décor la femme qui poursuit : « Silence ! ». La caméra par son travelling latéral finit par révéler l’actrice, revêtue également d’un imperméable et d’un béret : « C’était le hibou, fatal veilleur, nous souhaitant à tous une sinistre nuit ». Le regard hors-scène, elle continue : « Il fait le coup en ce moment ; les valets ronflent, ivres-morts ; j’ai mis une drogue dans leur vin si bien que la mort et la vie luttent à qui les aura ». L’acteur, qui joue visiblement Macbeth, lance depuis les coulisses : « Qui est là ? Quoi ? Hein ? ». Lady Macbeth : « J’ai peur qu’ils se soient réveillés et que le coup ne soit pas fait ; c’est la tentative qui nous perd et non le coup ». Alors que l’actrice pivote sur elle-même, la caméra glisse vers l’auditoire où un homme, qui s’avèrera être le metteur en scène, Bertal, joué par Michel Simon, est assis en spectateur, l’air impassible. Dans la version Gaumont, la voix off de l’inspecteur résonne de nouveau : « Bertal, celui qu’ils devaient r’froidir, les mettait en scène. Y’ avait une sale histoire entre eux qu’on n’a jamais pu éclaircir, ni à l’enquête, ni au procès. Drogue et chantage… enfin quelque chose qui les collait les uns aux autres, ces trois-là, et c’était sûrement pas l’amour… ou peut-être que c’était l’amour tout de même, vas-y y comprendre quelque chose dans cette putain d’vie ». Comme précédemment, le commentaire off de l’inspecteur vient se superposer à l’échange entre Macbeth et Lady Macbeth qui ne filtre ici qu’en sourdine alors que dans la version René Chateau le dialogue occupe le premier plan sonore : Lady Macbeth : « Je l’aurais fait moi-même s’il n’avait ressemblé à mon père endormi ». Macbeth se précipite sur la scène ; Lady Macbeth l’accueille par un « Mon homme ». Macbeth : « J’ai fait le coup ! N’as-tu pas entendu du bruit ? » Lady Macbeth : « J’ai entendu gémir le hibou et crier les grillons dans la nuit. N’as-tu pas parlé ? » Macbeth : « Quand ? » Lady Macbeth : « Tout à l’heure ? » ; Macbeth : « Quand je descendais ? » ; Lady Macbeth : « Oui » ; la version Gaumont laisse entendre la suite : Macbeth : « Écoute, qui couche à côté ? » ; Lady Macbeth : « Donalbain ». Il tend les mains devant lui et les regarde : « Voilà un triste spectacle ». Ils sont interrompus sans ménagement par la voix off de Michel Simon, vulgaire, insultante : « Non ! Eh ben non, ce n’est pas bon, mes agneaux ! C’est même franchement mauvais ! » (05.16). [ Lady Macbeth : That which hath made them drunk hath made me bold. / What hath quenched them hath given me fire. Hark, peace ! ― / It was the owl that shrieked, the fatal bellman / Which gives the stern’st good-night. He is about it. / [The doors are open, and] the surfeited grooms / Do mock their charge with snores. I have drugged their possets / That death and nature do contend about them / Whether they live or die. Enter Macbeth [above] Macbeth: Who’s there ? What ho ? Exit / Lady Macbeth : Alack, I am afraid they have awakened, / And ’tis not done. Th’attempt and not the deed / Confounds us. [Hark ! I laid their dagger ready ; / He could not miss ’em]. Had he not resembled / My father as he slept, I had done’t. [Enter Macbeth below] My husband ! / Macbeth : I have done the deed. Didst thou not hear a noise ? / Lady Macbeth : I heard the owl scream and the crickets cry. / Did not you speak ? Macbeth : When ? Lady Macbeth : Now. Macbeth : As I descended ? / Lady Macbeth : Ay. Macbeth : Hark ! ― Who lies i’th’ second chamber ? / Lady Macbeth : Donalbain. Macbeth (looking at his hands) : This is a sorry sight. (2.2.1-18)]. Il nous apprend qu’ils ont dû faire un « raccord » cinq jours après la générale. Il reproche l’intonation de l’actrice lorsqu’elle s’exclame « Mon homme ». Il lui explique : « Tu l’as envoyé refroidir le vieux, c’est toi qui l’as gonflé ton ‘Macbett’, tu sais qu’il a peur, mais qu’il faut l’faire pour qu’il soit roi et que tu sois reine. Mais tu l’aimes, tu l’aimes, tu entends, ton Macbett. Ça doit te sortir du ventre ‘Mon homme’. C’est ton mâle et tu l’as envoyé tuer ; seulement, eh, c’est ton p’tit aussi ; tu sais qu’il tremble et que sa main n’est pas sûre pour frapper ». Le couple se tient l’un contre l’autre avec un regard oblique plein d’amertume. « C’est ton enfant, seul devant le danger, que tu retrouves… ‘Mon homme’, eh, il faut qu’il y ait tout cela là-d’dans ». Le couple reprend la scène. Elle se jette au cou de Macbeth et lui lance avec fougue : « Mon homme ! » On comprend dès à présent intuitivement la relation amoureuse qui unit les deux acteurs. Michel Simon admet presque à contrecœur que c’est mieux. Pierre Brasseur (Macbeth) est mal à l’aise. « Ce n’est pourtant pas difficile, mes agneaux, vous n’avez qu’à vous figurer que c’est MOI que vous venez de refroidir ». Là commencent à s’opérer des glissements entre la trame première et la pièce dans le film ; la frontière commence d’emblée à devenir poreuse entre les deux intrigues. « Que vous allez enfin pouvoir vous aimer tous les deux. Ça vous donnera peut-être le ton. Allez, allez, continuez, je veux que ça me prenne au ventre, moi ! ». Les deux acteurs reprennent : Macbeth : « Qui couche dans la seconde chambre ? » ; Lady Macbeth : « Donalbain ». Macbeth regardant ses mains : « Voilà un triste spectacle ». À nouveau Michel Simon les interrompt. « Non, non, mon vieux, ne prends pas cet air dégoûté. C’est pas de la merde que tu as sur les mains, c’est du sang ». Pierre Brasseur s’emporte et refuse qu’on le prenne pour un novice. Michel Simon leur suggère une nouvelle fois avec insistance : « Figurez-vous que c’est moi que vous venez de zigouiller, l’empêcheur de danser en rond. Fini le passé, évanoui le père Bertal, il n’est plus là pour vous empêcher de vous aimer. Tu peux avoir Aurélia enfin à toi toute entière. C’est pourtant facile à imaginer. C’est mon sang, mon vieux Ludo, que tu as sur tes mains bien rouges ». Ludovic le regarde avec animosité avant de reprendre : « Voilà un triste spectacle ». Aurélia le prend dans ses bras : « Sotte pensée de dire que c’est un triste spectacle. Allez chercher un peu d’eau et lavez votre main de ce témoignage malpropre. C’est du sang, voilà tout ». [“A foolish thought, to say a sorry sight” (2.2.19) ; réécriture de : “A little water clears us of this deed” (2.2.65)]. Bertal convient que c’est mieux. Il s’approche de l’estrade et explique : « Cela vient de ce que dans la vie, Aurélia, tu es plus décidée que lui. Tout à fait comme dans la pièce. Au fond, tout au fond, Macbett est un lâche… et il le sait », affirme-t-il lourdement sans quitter Ludovic du regard. « Et il sait que je le sais ». Ludovic le traite de « Salaud ». Bertal rétorque : « Oui, et vivant ! Ça t’embêtes ?! ». Contre toute attente, Aurélia réplique d’un ton plein de sous-entendus : « Ne t’en vante pas trop ! On ne l’est pas toujours, vivant ». Bertal se contente d’un rire sardonique. Il dénigre leur amour ; le temps et la drogue ont buriné leurs traits et leurs illusions romantiques. Il commente qu’à leurs âges, on ne tue plus, on laisse faire (08.51). Il les laisse aller manger seuls, en amoureux.
Ludovic dit ne plus en pouvoir, que Bertal sera toujours entre eux. Aurélia l’enjoint à profiter de ce moment tous les deux. Bertal s’apprête à quitter le théâtre à son tour lorsqu’entre Sigurd, un vieil acteur, à qui Bertal aurait promis de confier la doublure du roi. Bertal ne veut rien entendre, l’humiliant avant de disparaître en claquant la porte. Sigurd, hors de lui, sort un revolver de sa poche et le montre à un machiniste qui vient d’assister à l’altercation en disant qu’il le crèvera avant de crever lui-même. Le machiniste rit avec dérision. Plusieurs affiches de Macbeth couvrent le mur du théâtre (11.30). Ludovic et Aurélia se promènent et se dirigent vers un banc où ils ont gravé, des années plus tôt, leurs initiales. Le banc est occupé par un jeune couple d’amoureux qui se promettent un amour éternel, que le temps n’aura pas prise sur eux. Ludovic regrette de ne pas s’être enfui avec Aurélia. Celle-ci le réconforte en lui montrant qu’il est devenu quelqu’un maintenant, qu’il joue un roi. Lui est convaincu que ce n’est qu’une loque recouverte de fleurs comme un cadavre. Ludovic propose à Aurélia de prendre le premier train et de partir. Elle lui rappelle qu’ils sont déjà partis à trois reprises et qu’à chaque fois, ils ont dû revenir faute d’argent car Ludovic se drogue. Bertal lui-même lui fournit la drogue dont il a besoin ! Ce dernier les tient et ils le savent. Ludovic convient que cela ne finira jamais ; elle réplique que c’est vrai… tant que Bertal sera vivant. Ils se regardent dans un silence pesant de sous-entendus. Ludovic rétorque qu’il ne pourrait pas : « Tu sais, il n’y a que dans les pièces de Shakespeare qu’on tue. Moi, une fois que j’ai retiré ma cuirasse… » (14.15).
On retrouve Sigurd au café, à moitié ivre, déclamant avec grandiloquence des rôles joués naguère. Il se dirige vers Ludovic et Aurélia qui viennent de s’installer à une table et vide toute sa rancœur. Il promet de « crever » Bertal pendant que le regard de Ludovic se perd devant lui.
Deux journalistes sont présents pour interviewer Bertal au sujet de la pièce pendant que celui-ci se maquille avant la représentation (16.10). Il affirme que les auditeurs se fichent pas mal de ce qu’il peut bien penser de « Macbett ». Le journaliste insiste : ce qui les intéresse c’est Bertal, pas Shakespeare. Il finit par accepter qu’on l’enregistre : « Il y avait des années que je rêvais de mettre Macbett en scène. C’est une des pièces les plus mûres et les plus dures de Shakespeare. Macbett, c’est l’histoire sordide d’un crime et c’est tout… mais autour de ce crime, toute la poésie radieuse et sombre de Shakespeare… ». Bertal s’interrompt ; il ne se sent pas bien. Il s’allonge et demande qu’on le laisse tranquille ; il poursuivra l’enregistrement par lui-même. Les journalistes repasseront à minuit récupérer l’enregistrement. Bertal poursuit sa préparation en discutant avec un jeune homme de la troupe qui le remercie de l’avoir formé. C’est le seul. Bertal confie qu’il en a assez d’être un salaud. Il n’a jamais aimé personne. Il demande qu’on lui monte un café. Le jeune homme s’éclipse.
Retour au café (21.02). Ludovic fait boire Sigurd qui s’écroule sur la table en promettant : « Je le crèverai ». Aurélia s’éclipse. Ludovic s’étonne, à voix haute, de ne pas y avoir pensé plus tôt. (21.48) Aurélia regagne le théâtre sous le commentaire en voix off de l’inspecteur, dans la version Gaumont : « C’était elle la plus curieuse des deux, la p’tite. Tout le monde l’a chargée au procès à cause du rôle de Lady Macbett qu’elle jouait dans la pièce et qui était antipathique. Mais le fait est que, si on va au fond des choses, elle l’avait poussé, le Ludovic. Et pourtant, elle avait quitté le bistrot la première parce que ça la dégoûtait, ce cabotin raté qui parlait de tuer Bertal. Des drôles de poupées, les femmes, ça ne sait jamais exactement ce que ça veut ». (22.12) Une horloge indique 20h24 puis un fondu enchaîné substitue à la première horloge un réveil, qui indique 20h50. Bertal est assis devant le miroir de sa coiffeuse, perdu dans la contemplation d’un portrait d’Aurélia, pendant que la voix off poursuit : « Bertal l’aimait-il encore ? À mon avis, il devait l’aimer, à sa façon, et c’est pour ça qu’il essayait de la garder près de lui pour avoir mal tout son saoul ». Bertal éteint la lumière de la coiffeuse avant de reprendre l’enregistrement (22.30) : « Mais qu’est-ce qu’un crime sinon le dénouement naturel de toute aventure humaine ? Nous sommes tous de pauvres bêtes de proie et seule notre lâcheté congénitale nous empêche d’aller jusqu’au bout de nos gestes. C’est pourquoi la justice juge au fond assez peu de crimes. Il y a des crimes sanglants et brutaux et il y a des crimes lents aussi où tous les coups qu’on porte sont mesurés et silencieux et où il ne coule pas une seule goutte de sang mais où l’on tue tout de même… quelquefois parce qu’on aime encore… ». (23.36) Fondu-enchaîné sur la pendule : 20h53. Deux enfants jouent au voleur. L’un, un foulard lui cachant le visage et un revolver à la main, s’empare d’une cassette métallique que l’autre enfant cherche à lui arracher. Trois coups de feu rententissent. L’un demande : « T’as tiré vraiment ? » ; l’autre regarde la bouche du canon, interloqué : « Bah, non ». Ils voient alors filer une silhouette revêtue d’un imperméable et d’un chapeau qui quitte les lieux précipitamment. Les enfants, puis la troupe d’acteurs costumés, s’amassent au pied de l’escalier menant à la loge de Bertal. Une femme les rejoint avec une tasse de café destinée à Bertal. Elle monte jusqu’à la loge et pousse un cri hors-champ.
La police arrive sur les lieux (24.52). Arborant une barbe et d’épais sourcils, coiffé d’une perruque, Ludovic les accueille en haut de l’escalier menant à la loge : « Ludovic Harn, co-directeur du théâtre, c’est un drame affreux ». L’inspecteur entre, suivi de ses collègues. Un homme prend des photos du corps. L’inspecteur-adjoint repère une seringue sur la table. Le médecin légiste déclare deux balles dans la région cervicale et un coup de crosse sur le front, mort instantanée. Ludovic et d’autres membres de la troupe assistent aux premières investigations. L’inspecteur ramasse l’arme du crime avec un mouchoir et ferme la porte au nez du personnel.
La femme apporte le café à Aurélia dans sa loge où Ludovic la rejoint (26.36). On lui demande si on rembourse ou si la représentation est maintenue. Ludovic décide de faire prévenir Léonard pour qu’il double Bertal dans le rôle du roi et de demander l’autorisation de jouer à l’inspecteur : « On ne meurt pas au théâtre ». Il ne croit pas si bien dire… « Ça ne pouvait plus durer », lâche-t-il une fois seul avec Aurélia. (27.57) Les inspecteurs interrogent les deux enfants. Ils poursuivent avec la femme qui dit avoir vu, dans la loge de Bertal, Laurent (l’acteur qui joue Macduff dans la pièce), un jeune homme rangé, de même que Ludovic, qui est redescendu avec elle. Elle ajoute avoir rencontré dans la cours Sigurd, qui devait monter voir Bertal. Le directeur de la scène vient s’entretenir avec l’inspecteur et lui révèle que Sigurd et Bertal ont encore eu une altercation dans l’après-midi pendant le répétition. L’officier demande au directeur d’informer le personnel que personne ne doit quitter le théâtre avant la fin de l’enquête.
L’inspecteur regagne la loge (29.09) ; il se penche sur le visage de Bertal puis un fondu enchaîné livre le visage animé et enjoué du même Bertal qui s’écrit : « C’est sa gueule, c’est exactement sa gueule ». Un changement de plan (29.36) permet de comprendre que l’image était le reflet de l’homme dans un miroir. Les glaces comme accessoires sont légion, tout dans le film n’étant que jeux de miroirs. Il s’agit en réalité de Léonard, la doublure de Bertal, qui est son sosie parfait, joué par le même Michel Simon. Tout le monde s’émeut de la ressemblance. L’acteur attendait cette opportunité depuis deux ans, affichant sa haine de l’homme. Chacun s’accorde à reconnaître que Bertal était un salaud. Laurent, qui était le seul à vouer une admiration sans borne à Bertal, s’insurge devant ces propos en disant qu’ils le craignaient tous et que, s’il revenait, ils s’aplatiraient devant lui. À cet instant, sa doublure apparaît en mimant ses paroles si coutumières : « Alors, toujours mauvais comme des cochons, mes agneaux ? ». Les acteurs se regardent tous, abasourdis par tant de ressemblance. On les appelle pour le début de la représentation (31.24).
L’inspecteur-adjoint s’intéresse au monde du théâtre et interagit continuellement entre les deux mondes (31.30). Il attire l’attention de l’inspecteur sur les « poupées » qui ne sont autres que les trois sorcières ; il prend appui sur une corde qui actionne le rideau de scène avant que le machiniste n’intervienne en le mettant en garde. L’inspecteur en chef fait garder toutes les issues ; nul n’a le droit de quitter le théâtre. Le directeur de scène indique les entrées côté cour et côté jardin ; l’inspecteur rétorque d’un air bourru ne pas savoir ce que c’est. L’inspecteur-adjoint s’adresse à un machiniste, trouvant les femmes amusantes, et demande ce qu’on joue ce soir. L’homme lui répond qu’il s’agit de Macbett. L’inspecteur demande si c’est drôle. L’autre répond sans enthousiasme : « Oh, comme ça ». L’inspecteur-adjoint s’interroge sur ce qu’elles fabriquent sur leur perchoir et vient les regarder de plus près. C’est alors qu’on frappe les trois coups. L’inspecteur a tout juste le temps de s’éclipser avant le lever du rideau (32.45). Tonnerre, vent et éclairs. L’inspecteur-adjoint interroge un machiniste sur ce qu’il est en train de faire. Celui-ci lui dit qu’il fait du vent et lui réclame de ne pas faire de bruit. Les trois femmes perchées sur une branche entament la scène : 1ère sorcière : « Quand nous retrouverons-nous de nouveau dans le tonnerre ? » ; 2e sorcière : « Les éclairs et la tempête ? » ; 3e sorcière : « Quand le sabbath sera fini, quand la bataille sera perdue et gagnée » ; 1ère sorcière : « Ce sera au coucher du soleil » ; 2e sorcière : « Oui. Sur la lande où nous rencontrerons Macbett » ; les trois sorcières : « Le beau est laid, le laid est beau. Allons faire le tour du monde dans la brume et l’air immonde… » (33.30). [“Thunder and lightning. Enter three Witches. First Witch. When shall we three meet again ? / In thunder, lightning, or in rain ? Second Witch. When the hurly-burly’s done, / When the battle’s lost and won. Third Witch. That will be ere the set of sun. / First Witch. Where the place ? Second Witch. Upon the heath. Third Witch. There to meet with Macbeth. [ …] / All. Fair is foul, and foul is fair, / Hover through the fog and filthy air” (1.1.1-11)]. Les sorcières s’envolent de leur perchoir, tirées par des cordes, et atterrissent dans les coulisses dans un fracas de tonnerre. Bousculé par le personnel qui s’active, l’inspecteur croit à une panne mais le machiniste lui explique que c’est un changement de scène. Le va-et-vient permanent et savamment orchestré entre les coulisses et la scène reflète à la perfection le jeu de miroir entre fiction interne et réalité filmique première. Le personnage gauche de l’inspecteur (bousculé, qui actionne malencontreusement le rideau, etc.) met parfaitement en lumière les interférences entre drame et réalité. Le policier trouve que « C’est marrant votre Mac… votre Macbett là » (33.44). Le machiniste le corrige : « Eh bien plutôt pas, c’est l’histoire d’un crime ». Inspecteur : « Eh ben, alors ça me connaît. Je serais curieux de voir comment vous goupillez ça, vous, au théâtre, vous qu’êtes pas du métier ». Une trompette annonce le roi Duncan. L’acteur pousse autoritairement l’inspecteur hors de son chemin et fait son entrée royale sur scène accompagné de sa garde. Un renversement de perspective s’opère alors que l’on passe des coulisses à la scène. Un soldat blessé arrive simultanément sur la scène et le roi demande avec force : (33.58) « Qui est cet homme ensanglanté ? Il doit pouvoir, à en juger par l’état où il se trouve… ». Un changement de plan se focalise sur un haut-parleur où l’on continue d’entendre le roi si bien que l’on repasse derrière la scène avec cassure, rupture mais continuité sonore, qui illustre une nouvelle fois cet incessant glissement entre les deux mondes : « … nous donner des nouvelles de la révolte ». L’objectif se déplace et donne alors à voir l’inspecteur en chef qui allume une cigarette le temps d’entendre un acteur poursuivre : « Raconte au roi ce que tu sais de la bataille ». [“Alarum within. Enter Duncan […] with attendants. King Duncan : What bloody man is that ? He can report, / As seemeth by his plight, of the revolt / The newest state. [ …] Malcolm : Say to the King the knowledge of the broil / As thou didst leave it” (1.2.1-7)]. L’officier interroge Laurent, le jeune acteur costumé. Le fait que les acteur soient en costume participe de l’antithèse mais, en même temps, témoigne du fondu entre les deux intrigues. Il l’interroge sur Sigurd qui semble très vite recueillir les soupçons des enquêteurs. Entre deux phrases de l’inspecteur qui tire sur sa cigarette, le texte shakespearien refait surface, semble sourdre des profondeurs de la fiction interne. Laurent témoigne des menaces proférées par le vieil homme. Les deux textes semblent se répondre dans un jeu de stichomythie saisissant (34.04) :
ROI : … nous donner des nouvelles de la révolte.
MALC. Raconte au roi ce que tu sais de la bataille.
INSP. Vous lui aviez entendu parler de ce Sigurd ?
LAURENT : Oui. Ce soir encore, cet homme l’avait menacé.
CAPITAINE : Elle était indécise.
INSP. C’était un homme capable de se venger ?
CAPITAINE : Comme deux nageurs épuisés…
LAURENT : Un velléitaire…
CAPITAINE : Qui se cramponnent l’un à l’autre et se paralysent…
Il ne s’agit pas du tout d’une superposition, ne serait-ce que partielle, des dialogues ni même d’un changement de focalisation, du premier plan au second plan acoustique ; on passe rigoureusement de l’un à l’autre, comme si les dialogues se répondaient au même niveau sonore, au même niveau d’intrigue, ce qui donne d’ailleurs un petit quelque chose de superficiel, de peu naturel à l’expression hachée du capitaine qui attend la fin de la phrase de l’autre texte avant de poursuivre. On voit d’ailleurs l’acteur Laurent qui attend artificiellement avant de répliquer à l’inspecteur :
LAURENT : Poussé par quelqu’un peut-être mais pas tout seul…
CAPITAINE : Mais le brave Macbett,…
À ce moment précis (34.25), Ludovic costumé et maquillé descend de sa loge sous le regard de Laurent et de l’inspecteur qui demeurent silencieux sous la description héroïque du capitaine : « … frappant à coups redoublés, se taille un passage à travers l’ennemi. Il affronte le plus déloyal des traîtres, le Sir de Cawdor, en combat singulier, et pour finir la victoire nous échoit ». Le personnage de Macdonald disparaît ; le passage est retravaillé, ce qui témoigne bien da sa parfaite récupération et imbrication dans l’intrigue. Ludovic passe devant les deux hommes sans un regard et s’arrête un court instant devant un miroir pour revêtir son casque. Il ouvre la porte pour rejoindre la scène. [“Doubtful it stood, / As two spent swimmers that do cling together / And choke their art. [ …] For brave Macbeth [ …]” (1.2.7-9 ; 16 ; 20 ; 52-53 ; 58)]. Roulement de tambour qui fait sursauter l’inspecteur-adjoint absorbé par la représentation (34.44). L’une des sorcières se lève, perchée sur son rocher : « Le tambour, le tambour. Voici Macbett qui arrive ». Elle rejoint ses compagnes plus bas, sur la plateforme : « Silence ». Elle jette une poudre qui s’enflamme dans le chaudron : « Le charme est accompli ».
La version René Chateau offre une autre scène qui a complètement disparu de l’édition Gaumont. On y voit un policier occupé à arpenter un couloir (0.34). Il s’arrête en entendant les trompettes, l’oreille aux aguets avant de descendre l’escalier pour jeter un œil dans la loge de Bertal toujours étendu, sans vie, sur le sol, comme s’il avait entendu quelque chose. « Vive le roi ! » On entend à nouveau le tonnerre qui se déchaîne alors que le machiniste que l’on découvre peu après agite violemment le panneau métallique. Effrayé, le policier se hâte de refermer la porte. (0.35) L’inspecteur-adjoint regarde la scène depuis les coulisses et active le machiniste pour qu’il actionne énergiquement la machine à vent et le panneau métallique. On voit là l’interaction du policier sur la représentation.
Toujours dans la version René Chateau (0.35), l’inspecteur-adjoint regarde la scène bouche bée, les yeux écarquillés, tel un enfant devant un spectacle de marionnettes. On découvre à sa suite les sorcières qui se retrouvent en hauteur une nouvelle fois, sur des rochers. 1ère sorcière : « Où es-tu allée ma belle ? » 2e sorcière : rires rendant la phrase inaudible. 1ère sorcière : « Et toi, ma sœur ? » 3e sorcière : « La femme d’un matelot avait des châtaignes dans son giron et mâchonnait, mâchonnait, mâchonnait. ‘Donne m’en une’, lui dis-je. ‘Arrière, sorcière’, me crie la grosse pouffiasse. Son mari est parti en mer pour Alep, comme second maître sur le Tigre. Je m’embarquerai dans un tamis comme un rat sans queue et j’agirai et j’agirai et j’agirai. Regardez ce que j’ai là ! » 2e sorcière : « Montre-moi ! Montre-moi ! » 1ère sorcière : « C’est le pouce d’un pilote noyé en rentrant au port ». Rires. Là, les deux versions se rejoignent. La caméra cadre l’inspecteur-adjoint qui tout à coup sursaute en entendant un roulement de tambour derrière lui. Sorcière 3 : « Le tambour ! Le tambour ! Voici Macbett qui arrive ! ». Les trois sorcières se réunissent autour d’un chaudron et y jettent de la poudre qui s’enflamme : « Le charme est accompli » (34.57).
Macbeth entre par là où les sorcières ont fait leur apparition (34.58). Il est suivi de Michel Simon dans le rôle de Banquo dont la tête est ceinte d’une couronne. Macbeth : « Je n’ai jamais vu jour plus beau et plus laid à la fois ». Banquo : « Quelles sont ces créatures, si flétries et de mise si bizarre, qui ne ressemblent pas aux habitants de la terre et cependant se trouvent sur elle ? Vivez-vous ? Êtes-vous quelque chose que l’homme puisse questionner ? ». L’élocution de l’acteur est maladroitement monocorde du fait qu’il n’est que la doublure de Bertal, peu aguerri à l’art de la scène ; par ailleurs on peut voir là une douce ironie du fait que Bertal ne cessait de dévaloriser ses acteurs sans être à même de jouer quant à lui (par l’intermédiaire de son sosie) de façon convaincante. Les sorcières mettent un doigt sur leur bouche « Shh… ». Macbeth : « Parlez, si vous pouvez. Qui êtes-vous ? ». La 1ère sorcière se dresse : « Salut Macbett, salut à toi, Sir de Glamis ». Tonnerre. La 2e sorcière se lève : « Salut Macbett, salut à toi, Sir de Cawdor ! ». Tonnerre plus fort et éclairs. La 3e sorcière fait de même : « Salut Macbett, qui bientôt sera roi ». Redoublement de coups de tonnerre. De la fumée s’élève du chaudron. [“First Witch : Where hast thou been, sister ? / Second Witch : Killing swine. Third Witch : Sister, where thou ? / First Witch : A sailor’s wife had chestnuts in her lap, / And munched, and munched, and munched. ‘Give me,’ quoth I. / ‘Aroint thee, witch,’ the rump-fed runnion cries. / Her husband’s to Aleppo gone, master o’th’ Tiger. / But in a sieve I’ll thither sail, / And like a rat without a tail / I’ll do, I’ll do, and I’ll do.” (1.3.1-9) […] “First Witch : Look what I have. Second witch : Show me, show me. / First witch : Here I have a pilot’s thumb, / Wrecked as homeward he did come. Drum within. Third witch : A drum, a drum ― / Macbeth doth come” (1.3.25-29) [ …] “All : The charm’s wound up. Enter Macbeth and Banquo. Macbeth : So foul and fair a day I have not seen. [ …] Banquo : What are these, / So withered, and so wild in their attire, / That look not like th’inhabitants o’th’ earth / And yet are on’t ? ― Live you, or are you aught / That man may question ? […] Macbeth (to the Witches) : Speak, if you can. What are you ? / First Witch : All hail, Macbeth ! Hail to thee, Thane of Glamis. / Second witch : All Hail, Macbeth ! Hail to thee, Thane of Cawdor. / Third witch : All hail, Macbeth, that shalt be king hereafter !” (1.3.35-6 ; 37-41 ; 45-48)]. Changement de point de vue (35.43) : l’inspecteur se retourne sur le machiniste qui agite activement la feuille métallique. Il lui demande : « Qu’est-ce qu’elles lui racontent, les poupées là ? ». Le machiniste explique sans cesser de tourner la machine à vent : « Elles lui prédisent qu’il sera Sir de Cawdor et puis roi après. D’abord, il y comprend rien, le frère, mais comme il a gagné la bataille, le roi lui envoie un messager pour le nommer Sir de Cawdor à la place du traître qu’il a vaincu. Tu suis ? ». Inspecteur : « Ouais, ouais ». « C’est là qu’il voit que les prédictions des vieilles se réaliseront et qu’il a plus qu’à refroidir le vieux pour devenir roi à son tour ». La représentation visuelle fait place à la narration mais pas par un personnage de la fiction imbriquée, par un technicien du théâtre en train de manipuler une machine, où sont mises en exergue les ficelles du spectacle. L’inspecteur est à nouveau dans le passage et l’acteur, qui avance vivement vers la scène, le pousse vers le machiniste qui, à son tour, le tire en arrière pour éviter qu’il ne s’appuie sur la machine à vent et ne la bloque. Inspecteur : « Te fatigue pas, j’ai compris ». On entend vaguement la voix monotone de Macbeth entrecoupée. « D’ailleurs, rien qu’à voir sa tête, j’ai compris tout de suite que c’était lui qui allait faire le coup » (36.14). La forme du futur proche rime étrangement avec le plus-que-parfait : « allait » ou « avait » ?
Changement de séquence. L’inspecteur en chef est au téléphone en communication avec son supérieur (36.15). Il se trouve dans la loge de Bertal qui n’a pas bougé. Il promet que l’assassin sera arrêté d’ici le matin. Tout en parlant, il s’assied sur le rebord de la table et déclenche malencontreusement un appareil, sorte de haut-parleur permettant de suivre la représentation à distance depuis les loges. On entend Macbeth en voix off ; l’officier cherche à éteindre l’appareil en jurant : « … pensée où le meurtre n’est encore qu’un rêve… à quel point le royaume de mon âme… ». Le policier s’acharne bruyamment sur l’appareil qu’il cherche désespérément à arrêter tout en faisant répéter son supérieur qu’il n’arrive plus à entendre correctement. Les paroles de Macbeth s’en trouvent entrecoupées tout d’abord avant de devenir tout à fait inaudibles alors que les mots de l’inspecteur se superposent à elles dans une véritable cacophonie, se superposent encore comme le font les deux intrigues. Véritable tohu-bohu sémantique où les deux mondes se mêlent étroitement une nouvelle fois, fusionnent même, d’une façon sans précédent dans une sorte d’alchimie où l’on ne sait plus qui parle à qui ; l’inspecteur s’adressant à la machine qui livre les paroles de Macbeth lui parle d’une certaine façon alors que le supérieur pense qu’il s’adresse à lui. L’inspecteur finit par taper sur la machine qui est enfin réduite au silence. L’inspecteur dit à son supérieur qu’il peut aller tranquillement au théâtre ce soir. L’autre semble lui répliquer qu’il va se rendre au Casino de Paris. L’inspecteur lui avoue que ce sera plus gai qu’ici. Il se fait l’écho des propos de son interlocuteur : « Aahh ? Macbett c’est une belle pièce ? Je ne connaissais pas. Vous savez, moi, patron, le théâtre… ». Après la cacophonie, la multiplicité de sources sonores, la dualité du dialogue entre le supérieur et l’inspecteur semble canalisée par la seule voix de l’inspecteur. Au moment de raccrocher, le haut-parleur se remet en marche : « Oh, mon très digne cousin… ». L’inspecteur jure de nouveau et appelle le policier en faction à l’extérieur de la pièce pour qu’il vienne lui « bousiller » « ce truc-là ». La voix : « … tu vas si loin dans la victoire que l’aile la plus… ». La voix continue partiellement masquée par les efforts acharnés autant que désespérés du policier pour arracher les fils de l’appareil. Symbolique sans doute de cette voix qu’on veut faire taire mais que nul ne saurait étouffer, tel Bertal réincarné par son sosie, Banquo dont le fantôme revient hanter son meurtrier, ce qui n’est pas sans rappeler « The Tell-Tale Heart » d’Edgar Allan Poe. L’inspecteur demande au policier Vernier où se trouve Gobinet, son adjoint, et s’entend dire qu’il regarde la pièce. L’inspecteur s’indigne et ses propos sont repris par le même inspecteur en voix off, trois ans plus tard (37.38) : « Tu l’connais, Gobinet, ça n’a jamais été une lumière. Et pourtant, c’était lui qui avait raison de s’intéresser à la pièce. Mes deux clients, ils allaient être obligés de revivre toute la soirée, en jouant la pièce, le crime qu’ils avaient commis une heure avant ».
Pendant ce temps, la caméra nous livre l’arrière-scène où s’active le personnel. La voix off de Macbeth poursuit imperturbablement directement depuis la scène cette fois-ci : « … la balance des remerciements… salaires penchèrent en ma faveur. Allons à Inverness afin d’augmenter encore nos obligations envers… ». L’inspecteur-adjoint s’enquiert (37.53) : « Cette poupée-là, qui c’est ? Elle en a une bille ! » Machiniste : « C’est la femme de Macbett. C’est elle qui va l’pousser à faire le coup ». Insp. « Je m’en serais douté. Dans notre métier, on a l’œil ! ».
La musique de scène attire l’attention de l’inspecteur-adjoint. Un cadrage d’un nouveau genre intervient : Gobinet observe Lady Macbeth à travers un élément de décor qui forme une ouverture quasi circulaire avec un jeu d’enchâssement : le spectateur observe l’inspecteur en train d’observer Lady Macbeth (38.08). Elle entre sur scène, toute de noir vêtue, une lettre à la main : « Sir de Glamis, tu l’es et Sir de Cawdor maintenant… et tu seras ce que l’on t’a promis. Mais je crains ta nature, Macbett. Elle est trop pleine du lait de la tendresse humaine pour suivre le chemin le plus court. Tu voudrais gagner mais ne pas tricher ; tu voudrais posséder mais tu as peur de faire ce qu’il faut faire pour cela ». [“Glamis thou art, and Cawdor, and shalt be / What thou art promised. Yet do I fear thy nature. / It is too full o’th’ milk of human kindness / To catch the nearest way. Thou wouldst be great, / Art not without ambition, but without / The illness should attend it. What thou wouldst highly, / That wouldst thou holily ; wouldst not play false, / And yet wouldst wrongly win” (I.5.14-21)]. Lady Macbeth se rapproche du policier qui recule. Il disparaît du cadrage alors que Lady Macbeth s’avance vers le devant de la scène. La caméra filme la salle remplie de spectateurs alors qu’elle déclame : « Moi, je t’aiderai à couver… Esprits qui veillez sur les pensées de mort, faites-moi déborder de la plus atroce cruauté… ». [“Come, you spirits / That tend on mortal thoughts [ …] / And fill me from the crown to the toe top-full / Of direst cruelty” (I.5.39-42)]. Changement de plan. L’inspecteur-adjoint s’exclame à l’intention du machiniste : « J’te l’avais dit, des poupées comme cela, j’en ai vu mille dans mon métier, toutes les mêmes. Et qui c’est qui va se faire raccourcir par Déblair (orthographe incertaine) après, eh bien, c’est le pauvre couillon qui les a écoutées ». Machiniste : « Dans la pièce, ils crèvent tous les deux ». Inspecteur : « Bah, tant mieux ! ». L’inspecteur en chef arrive et fait des remontrances à son subalterne qu’il trouve en train de discuter avec le technicien. L’inspecteur-adjoint lui explique qu’il est sur une autre affaire (en abyme celle-là avec un nouveau brouillage de la frontière entre fictions première et seconde), que « C’est cette poupée-là qui va pousser son homme à refroidir le vieux au cours d’un week-end dans leur gentil petit bungalow de l’époque » (39.12). Il se penche pour voir la scène qui nous est livrée en contrepoint : le cadrage reste celui de l’épisode précédent si ce n’est que l’inspecteur n’est pas visible. Macbeth entre casqué et cuirassé (39.16). Lady Macbeth se précipite vers lui et s’agenouille à ses pieds : « Glamis, Sir de Cawdor et plus grand qu’eux deux bientôt peut-être. Ta lettre m’a transportée au-delà du présent aveugle et je vis déjà dans l’avenir ». Macbeth « Mon cher amour, Duncan arrive ici ce soir ». Lady Macbeth « Et quand compte-t-il repartir ? » Macbeth s’éloigne : « Demain, pense-t-il ». Lady Macbeth « Eh bien jamais le soleil ne verra ce demain ». [“Great Glamis, worthy Cawdor, / Greater than both by the all-hail hereafter, / Thy letters have transported me beyond / This ignorant present, and I feel now / The future in the instant. Macbeth : My dearest love, / Duncan comes here tonight. Lady Macbeth : And when goes hence ? Macbeth : Tomorrow, as he purposes. Lady Macbeth: O never / Shall sun that morrow see” (I.5.53-60)]. Contre champ (39.50). L’inspecteur en chef questionne le machiniste : « C’était la femme de Bertal ? ». Celui-ci répond : « Enfin, oui, quoi, ils vivaient ensemble ». On entend très vaguement la voix de Lady Macbeth L’inspecteur en chef commente : « Du sang-froid, la p’tite ! De jouer comme ça quand on vient de descendre son homme ». L’inspecteur en chef ordonne à son subalterne de le suivre pour aller cueillir leur client. L’officier demande à revenir, quand le coupable « se sera mis à table », voir la fin de la pièce car cette histoire-là l’intéresse. Les deux hommes s’éloignent alors que le technicien allume les flambeaux.
Dans les coulisses, l’acteur jouant Duncan revêt sa couronne (40.11). En passant devant lui, l’inspecteur-adjoint l’interpelle : « C’est vous le vieux ? ». L’acteur surpris acquiesce avec grandeur. L’inspecteur-adjoint lui conseille, goguenard : « Faites gaffe, vous faites pas mal en tombant tout à l’heure ! ». Toujours digne, l’acteur hausse les épaules d’un air bougon. Trompettes. L’inspecteur-adjoint fait une nouvelle fois volte-face pour découvrir un musicien soufflant dans un cor d’harmonie. Le roi, escorté par sa garde en armes, quitte les coulisses pour la scène (40.33). Le même cadrage circulaire, cette fois en amorce, dévoile la rencontre entre Duncan et Lady Macbeth, qui l’accueille avec une révérence prononcée avant de se tenir de trois-quarts sur le côté ; elle ne lui fait pas face : « Voici notre hôtesse honorée. L’amour qui nous pourchasse est souvent un tourment et pourtant nous le bénissons au fond de nos cœurs parce qu’il est l’amour. Ainsi ma présence dans votre demeure est à la fois un acte d’amour et un ennui pour vous… ». [“Duncan : See, see, our honoured hostess ! / The love that follows us sometime is our trouble, / Which still we thank as love. Herein I teach you / How you shall bid God ’ield us for your pains, / And thank us for your trouble” (I.6.10-14)]. Lady Macbeth a tout juste le temps de lui accorder une nouvelle révérence avant qu’un changement de plan ne révèle les machinistes dans les « combles » (40.54). Ces derniers amènent presque de force à l’inspecteur en chef le collègue qui a assisté à l’altercation entre Bertal et Sigurd. Celui-ci n’osait pas se manifester. On entend vaguement les paroles de la représentation qui se poursuit : « … Sir de Cawdor… ». Le jeune homme confie que Sigurd n’était pas un mauvais bougre mais qu’il lui a montré l’après-midi même un « pêtard » rouillé qu’il avait dû acheter aux puces. L’officier lui présente un révolver enveloppé dans un mouchoir et lui demande s’il s’agit de la même arme pendant que Duncan poursuit sa tirade fragmentée : « … belle et noble hôtesse… ». [“Fair and noble hostess” (I.6.24)]. L’homme reconnaît le révolver. Les paroles de Lady Macbeth semblent sourdre : « … plaisir de votre altesse afin de lui restituer ce qui lui appartient… » ; Duncan : « Donnez-moi votre main… ». [“Lady Macbeth: Your servants ever / Have theirs, themselves, and what is theirs in count / To make their audit at your highness’ pleasure, / Still to return your own. Duncan : Give me your hand” (I.6.25-28)]. L’inspecteur en aparté avec son subalterne convient que les choses se précisent mais demande tout de même à son adjoint de lui amener « les deux autres » à l’entracte. Ce dernier, tout heureux de pouvoir rester sur les lieux, se tourne vers la scène (41.44).
Un contre-champ filme les serviteurs dans un couloir du château reconstitué qui apportent des victuailles au son des trompettes. La voix-off de l’inspecteur résonne : « Oh, ce que j’ai été bête de ne pas rester avec Gobinet dans les coulisses. Y avait qu’à écouter la pièce pour voir comment ils s’y étaient pris ». Macbeth arrive, vraisemblablement de la salle de réception. Il s’immobilise et parle avec nervosité : « Si c’était fait lorsque c’est fait, il faudrait le faire tout de suite ». Il met la main sur son poignard. « Mais il est ici sous double sauvegarde. Je suis son hôte et son obligé. Je devrais barrer la porte au meurtrier et non point porter moi-même le couteau ». [“If it were done when ’tis done, then ’twere well / It were done quickly. [ …] He’s here in double trust : / First, as I am his kinsman and his subject, / Strong both against the deed ; then, as his host, / Who should against his murderer shut the door, / Not bear the knife myself” (I.7.1-2 ; 12-16)]. Lady Macbeth le rejoint par derrière, toujours de noir vêtue (42.08). Elle lui lance avec agressivité que « Le festin est presque terminé. Pourquoi avez-vous quitté la salle ? » Macbeth : « M’a-t-il demandé ? ». Lady Macbeth : « Ne le saviez-vous pas ? ». [“He has almost supped. Why have you left the chamber ? / Macbeth : Hath he asked for me ? Lady Macbeth : Know you not he has ?” (I.7.29-30)]. Macbeth s’éloigne et s’assied sur le rebord d’une fenêtre d’un air accablé. Est-ce le poids du meurtre accompli qui lui permet de jouer avec plus de vraisemblance son rôle ? D’ailleurs auraient-ils même, lui et sa maîtresse, eu l’idée de ce meurtre sans avoir été confrontés à l’intrigue de Macbeth ? Macbeth : « Nous n’irons pas plus loin dans cette affaire ». Lady Macbeth : « Était-elle ivre l’espérance dans laquelle tu te drapais ? Désormais je croirai ton amour aussi fragile que ton espoir ». Macbeth : « Je ne peux pas ». Lady Macbeth : « Vous m’avez juré, seigneur. J’ai nourri et je sais comme il est doux d’aimer le petit qui me tête. Eh bien, au moment où il me souriait comme un ange, j’aurais arraché le bout de mon sein de ses gencives sans os, je lui aurais fait jaillir la cervelle si j’avais juré comme vous m’avez juré ceci ». Macbeth se relève : « Si nous allions manquer le coup ? ». Lady Macbeth : « Nous, manquer le coup ? ». Par derrière, Lady Macbeth saisit son époux par les épaules : « Lorsque Duncan sera bien endormi et le rude voyage d’aujourd’hui le plongera bientôt dans un sommeil profond, je terrasserai si bien par le vin et par l’orgie ses deux chambellans, que leur mémoire, cette gardienne de leur cerveau, ne sera plus que fumée. Lorsqu’ivres morts, ils seront plongés l’un et l’autre dans un sommeil de pourceaux, que ne pouvons-nous tenter, vous et moi sur le roi sans défense ? ». [“We will proceed no further in this business […]. / Lady Macbeth: Was the hope drunk / Wherein you dressed yourself ? […] From this time / Such I account thy love. [ …] Macbeth : Prithee, peace. […] Lady Macbeth: I have given suck, and know / How tender ’tis to love the babe that milks me. / I would, while it was smiling in my face, / Have plucked my nipple from his boneless gums / And dashed the brains out, had I so sworn / As you have done to this. Macbeth : If we should fail ? Lady Macbeth : We fail ! […] / When Duncan is asleep ― / Whereto the rather shall his day’s hard journey / Soundly invite him ― his two chamberlains / Will I with wine and wassail so convince / That memory, the warder of the brain, / Shall be a fume […] When in swinish sleep / Their drenchèd natures lies as in a death, / What cannot you and I perform upon / Th’ungarded Duncan ?” (I.7.31 ; 35-36 ; 38-39 ; 45 ; 54-59 ; 61-66 ; 67-70)].
Après cette longue tirade, par laquelle l’intrigue première se dissout tout à fait, un changement de plan (43.45) revient sur l’inspecteur-adjoint occupé à observer la scène depuis les coulisses pendant que Laurent attend derrière lui le signal d’entrer sur scène. Hors-champ Macbeth reprend : « Nous marquerons de sang les deux dormeurs de sa chambre ». L’inspecteur hoche la tête à l’intention de Laurent, comme impressionné par la stratégie des deux meurtriers avant que la caméra ne revienne sur la pièce. « Nous emploierons leurs propres poignards et on sera persuadé alors que c’est eux qui ont fait le coup ». Lady Macbeth : « Qui osera prétendre le contraire lorsque nous clamerons notre douleur sur son cadavre ? ». Macbeth : « C’est bien. je suis résolu. Allons et que de beaux dehors se jouent des yeux du monde ». [“Will it not be received, / When we have marked with blood those sleepy two / Of his own chamber and used their very daggers, / That they have don’t ? Lady Macbeth : Who dares receive it other, / As we shall make our griefs and clamour roar / Upon his death ? Macbeth : I am settled. [ …] Away, and mock the time with fairest show” (I.7.74-79 ; 81)]. Tous deux quittent la scène.
L’inspecteur-adjoint les accueille dans les coulisses par : « Vous êtes de beaux salauds, tous les deux ». Le ton sérieux pourrait porter à confusion et interpeller Ludovic et Aurélia si le directeur de la scène ne poussait pas les deux acteurs à repartir sur scène pour recueillir les applaudissements nourris du public. Le rideau tombe. Le couple regagne les coulisses où l’inspecteur-adjoint, Gobinet, les apostrophe une nouvelle fois : « Alors c’est comme ça qu’on a voulu faire couic au vilain barbu ?! ». L’allusion se heurte au sérieux impassible des deux acteurs. L’officier les envoie rejoindre l’inspecteur en chef qui veut les interroger (44.42).
L’inspecteur leur demande s’ils ne sont pas trop émus par le drame, « les acteurs » (45.22). Ludovic répond que dans ce métier, on joue quand même. L’inspecteur ajoute que, dès qu’on est sur scène, il n’y a plus que le personnage qui compte, que ce qu’on a pu penser ou FAIRE une demi-heure avant, c’est oublié. Inspecteur : « Il paraît que c’est une belle pièce ? ». Ludovic : « Vous ne connaissez pas ? ». L’inspecteur explique que dans son métier on n’a pas beaucoup le temps de lire, qu’on s’intéresse aux personnages vivants. Ce type de disposition, avec les deux personnages en premier plan costumés et, entre eux, au second plan, l’inspecteur, n’est pas sans rapport avec l’hypallage, figure de rhétorique consistant à attribuer à certains mots d’une phrase ce qui convient à d’autres mots de la même phrase (par exemple « Ce marchand accoudé sur son comptoir avide » de Victor Hugo), et symbolise le caractère fusionnel entre les deux fictions. L’inspecteur continue à expliquer que les personnages de théâtre peuvent tuer qui ils veulent, du moment que le cadavre ressuscite à la fin de la pièce, ça ne le regarde pas. Là où il commence à devenir curieux c’est quand le cadavre s’obstine, une fois le rideau tombé, à ne pas se relever, comme ce soir. Bertal est en effet assassiné en costume de théâtre. L’inspecteur poursuit en disant qu’il n’était jamais entré dans les coulisses et que c’est fou ce qui s’y raconte pendant que la pièce se joue derrière la toile à un mètre de là. Il s’adresse à Aurélia et dit avoir appris qu’elle était la compagne de Bertal depuis de nombreuses années et la maîtresse de Ludovic Harn depuis deux ans. Il révèle avoir entendu dire qu’on n’aimait pas beaucoup Bertal dans ce métier, qu’il était dur, violent, agressif, prenant un malin plaisir à torturer ceux qui étaient en son pouvoir. Ludovic acquiesce. L’inspecteur lui demande s’il avait de la sympathie pour Bertal ; Ludovic se contente d’un « non » ; l’officier demande alors à Aurélia si elle aimait son concubin. Elle répond laconiquement « non ». L’inspecteur s’étonne qu’elle n’ait pas quitté Bertal alors qu’ils n’étaient pas mariés. Lui demandant s’il exigeait qu’elle reste avec lui, elle se contente d’une réponse monosyllabique. Il cherche à comprendre pourquoi cette relation triangulaire a perduré alors qu’il était si simple d’en sortir… et sans cadavre.
Ils sont interrompus par l’inspecteur-adjoint (49.52). L’inspecteur sort en refermant la porte. Il apprend de Gobinet qu’on a retrouvé Sigurd dans un café du quartier et qu’il avoue tout, le coup de crosse et les trois balles. L’inspecteur revient dans la pièce en annonçant que cette histoire va se terminer le plus simplement du monde et qu’on vient d’arrêter l’assassin. L’inspecteur ne manque pas de remarquer que ce Sigurd leur a rendu un fier service. Devant le silence du couple, il conclut : « Je sais bien, je sais bien, vous auriez préféré que ça n’aille pas jusque-là mais tout de même… ». Il quitte la pièce (51.10) et commente : « Je ne sais pas si c’est la contagion du théâtre qui me gagne, je trouve que c’est un peu sommaire les solutions de la vie ». L’inspecteur-adjoint enchaîne : « Moi, ce qui m’inquiète chef, c’est dans la pièce. Je me demande bien comment ils vont réussir à se faire coincer ces deux salauds-là ». L’inspecteur en chef lui propose de retourner voir la fin de la pièce quand leur « client » aura signé ses aveux. Un changement de plan (51.52) cadre Ludovic et Aurélia qui n’ont pas bougé de la pièce, comme figés par le poids du meurtre. Ludovic lâche qu’il n’en peut plus, qu’il ne pourra pas jouer la scène. Aurélia rétorque qu’elle le peut bien, elle. Ludovic reprend les paroles de Bertal : « Ce n’est pas de la merde que tu as sur les mains, c’est du sang ». Aurélia lui enjoint de se taire. « Allez, viens ». Paroles qui rappellent étrangement la pièce. L’attitude des deux personnages ressemble à s’y méprendre à celle qu’ils adoptent sur scène. Ils sont interrompus par le directeur de la scène qui les appelle pour le second acte.
Les trois coups retentissent (52.28). Le silence se fait parmi les spectateurs et le rideau se lève. La caméra adopte un nouveau point de vue en prenant place au milieu des spectateurs installés sur le balcon, en hauteur. On entend comme des pleurs dans la nuit, puis le cri du hibou. Banquo et son fils, Fléance, descendent les marches du château en brandissant une torche. Banquo : « Où en est la nuit, mon enfant ? » Fléance : « Je n’ai pas entendu l’horloge. La lune est couchée ». Banquo : « Et elle se couche à minuit ». Fléance : « Je crois qu’il est plus tard, seigneur ». Banquo : « Tiens, prends mon épée. Le ciel est économe, ce soir. Toutes ses chandelles sont éteintes ». [“B. How goes the night, boy ? / F. The moon is down. I have not heard the clock. / B. And she goes down at twelve. F. I take’t ’tis later, sir. / B. (giving Fleance his sword) Hold, take my sword. There’s husbandry in heaven, / Their candles are all out” (II.1.1-5)]. La doublure affiche à présent une maîtrise impressionnante, avec pour effet de lisser l’écart entre Bertal et son sosie. La voix poursuit superposée à l’image de Ludovic et Aurélia qui observent dans une tension palpable le spectacle depuis les coulisses avec derrière eux le directeur de la scène (53.15) : « Un poids lourd comme le plomb pèse sur moi et pourtant je ne voudrais pas dormir… ». [“A heavy summons lies like lead upon me, / And yet I would not sleep” (II.1.6-7)]. Le directeur s’interroge à mi-voix : « Il s’en tire pas mal, le cochon ». Ludovic : « Comment a-t-il pu réussir à se faire cette gueule ? On dirait que c’est lui. Oh, j’pourrais pas jouer en face de cette gueule-là ». Lady Macbeth : « Il le faut. Va ». Et elle le pousse vers la scène. Banquo à Fléance : « Donne-moi mon épée. Qui va là ? ». La voix quasi sépulcrale de Macbeth répond : « Un ami ». Banquo : « Quoi, seigneur, pas encore au lit ? Le roi est couché. Il a été d’une bonne humeur inaccoutumée. Il a fait de grandes largesses à ses gens. Il salut votre femme en lui offrant ce diamant comme à la plus aimable des hôtesses. Tout va bien ». [“B. Give me my sword. Who’s there ? / Macbeth : A friend. / B. What sir, not yet at rest ? The king’s a-bed. / He hath been in unusual pleasure, and / Sent forth great largesse to your offices. / This diamond he greets your wife withal / By the name of most kind hostess, and shut up / In measureless content” (II.1.9-16)]. Changement de plan sur Aurélia et le directeur en coulisses (54.05) : « J’ai rêvé, la nuit dernière, des trois sœurs fatales. Pour vous, elles se sont montrées assez véridiques ». [“I dreamt last night of the three weird sisters. / To you they have showed some truth” (II.1.19-20)]. La caméra se focalise sur Ludovic dont la respiration est haletante, la sueur perlant sur son front. Sa réplique se fait attendre, ce qui suscite l’inquiétude d’Aurélia : « Qu’est-ce qu’il a ? ». Directeur : « Il ne sait plus ; il a un trou ». Et il quitte l’aile précipitamment. Plan sur Macbeth, dont le visage se crispe. Plan sur les spectateurs qui s’interrogent puis sur Banquo qui lui-même ne sait comment réagir. Le directeur revient avec le script. Aurélia souffle à Ludovic : « N’y pensez plus, seigneur, cependant quand nous aurons une heure favorable… ». Macbeth reprend, hésitant : « N’y pensez… n’y pensez plus, seigneur, cependant quand nous aurons une heure favorable, nous pourrons échanger avec vous quelques mots à ce sujet ». [“I think not of them ; / Yet, when we can entreat an hour to serve…” (II.1.20-21)]. La performance est remarquable de véracité. Le directeur s’éponge le front. Ils ont frôlé la catastrophe. Macbeth poursuit hors champ : « Si vous voulez adhérer à nos projets, le moment venu, vous y gagnerez de l’honneur ». [“If you shall cleave to my consent when ’tis, / It shall make honour for you” (II.1.24-25)]. Le directeur soupire : « Ouf, j’ai eu chaud. Qu’est-ce qui lui a pris ? ». Aurélia reste sans voix.
Changement de séquence (54.57). Les deux inspecteurs sont dans la loge en compagnie de Sigurd et du cadavre. L’inspecteur en chef présente l’arme du crime à Sigurd qui la reconnaît. Interrogé, Sigurd explique que Bertal était en train de parler quand il est entré dans la pièce. L’inspecteur veut savoir s’il n’était pas seul. Sigurd réplique que si, que Bertal s’enregistrait, pour une interview sans doute. Il se lève et explique qu’il l’a interpellé, qu’il lui a crié qu’il voulait le couler parce qu’il était jaloux de son talent et qu’il allait payer. Bertal lui a rétorqué qu’il était saoul et a cherché à le jeter dehors par la force. Sigurd mime la scène avec grandiloquence. Alors, il l’a frappé à la tête avec la crosse puis a tiré. L’inspecteur cherche à savoir combien de coups il a tirés mais Sigurd ne se souvient plus. Il rappelle qu’il était ivre. Quand l’inspecteur lui demande s’il regrette son geste, Sigurd lui dit qu’il a joué Dom Diègue et plusieurs empereurs romains dans diverses tragédies et qu’il ne regrette rien. Il ajoute que, comme Auguste, il lui pardonne puis il se met à déclamer quelques vers de Corneille à l’intention du cadavre. L’inspecteur l’oblige à signer sa déclaration. Il fait ensuite emmener le coupable et demande qu’on le débarrasse de « ça », en désignant la dépouille. L’inspecteur décide ensuite d’aller dîner dans le bistrot d’en face et libère son adjoint pour qu’il puisse assister à la fin du spectacle.
Macbeth se tient en hauteur, dans les coulisses, plongé dans ses pensées (57.14) ; il regarde les poignards qu’il tient entre ses mains. Il sursaute lorsque l’inspecteur-adjoint entre en refermant brutalement la porte derrière lui. Irrité, le machiniste fait signe à l’officier de ne pas faire de bruit. Quelques pas plus loin, Gobinet trébuche bruyamment sur quelque chose et manque de tomber sous le regard désapprobateur du même machiniste. L’officier demande à un autre machiniste où en est la représentation. Ce dernier lui dit qu’ils « se préparent à buter le vieux ». L’inspecteur-adjoint est tout heureux d’arriver à temps. Il se poste derrière un rideau de manière à suivre la scène. On entend un premier vers hors champ avant que la caméra ne se focalise sur Lady Macbeth : « Ce qui les a saoulés m’a rendue forte. Ce qui les a endormis m’a éveillée, moi ». Un hibou hulule. « Écoutez ! Silence ! ». On voit Macbeth juché qui tend l’oreille. « C’était le hibou, fatal veilleur, nous souhaitant à tous une sinistre nuit. Il fait le coup en ce moment. Les valets ronflent, ivres morts. J’ai mis une drogue dans leur vin si bien que la mort et la vie luttent à qui les aura ». Macbeth, dans les coulisses : « Qui est là ? Quoi ? Eh ? ». Alors qu’il n’est pas sur scène, il est quelque peu surprenant de voir comme son visage est expressif ; ses traits sont crispés comme s’il vivait la scène. Lady Macbeth enchaîne : « J’ai peur qu’ils se soient éveillés et que le coup ne soit pas fait. C’est la tentative qui nous perd et non le coup ». Elle se dirige vers l’auditoire : « Je l’aurais fait moi-même s’il n’avait ressemblé à mon père endormi ». Macbeth descend les marches pesamment, les mains ensanglantées, tenant les poignards. Lady Macbeth accourt et l’étreint : « Mon homme ! » (58.26). [“That which hath made them drunk hath made me bold. / What hath quenched them hath given me fire. Hark, peace ! ― / It was the owl that shrieked, the fatal bellman / Which gives the stern’st good-night. He is about it. / The doors are open, and the surfeited grooms / Do mock their charge with snores. I have drugged their possets / That death and nature do contend about them / Whether they live or die. Enter Macbeth [above]. Macbeth : Who’s there ? What ho ? [Exit] Lady Macbeth : Alack, I am afraid they have awaked, / And ’tis not done. Th’attempt and not the deed / Confounds us. [ …] Had he not resembled / My father as he slept, I had done’t. [Enter Macbeth below] Lady Macbeth : My husband !” (II.2.1-13)].
C’est alors que les paroles de Bertal, comme venues d’outre-tombe, refont surface (58.27) : « Tu l’aimes ton Macbett, tu entends. Ça doit te sortir du ventre ‘Mon homme’ ». Lady Macbeth regarde Macbeth, qui ne réplique point, et colle sa tête sur son épaule en reprenant : « Mon homme ! ». La voix de Bertal réplique : « C’est mieux ». Un changement de plan (58.41) révèle le directeur, Laurent et l’inspecteur-adjoint. Ils s’interpellent sur le silence de Macbeth, croyant à un nouveau trou de mémoire. Macbeth s’anime : « Qui couche dans la seconde chambre ? ». Lady Macbeth « Donalbain ». Il tend les mains devant lui : « Ah, voilà un triste spectacle ! ». [“Macbeth : Who lies i’th’ second chamber ? Lady Macbeth : Donalbain. Macbeth (looking at his hands) : This is a sorry sight” (II.2.17-18)]. La voix de Bertal, ironique, cassante, se fait à nouveau entendre : « Non, c’est pas de la merde que tu as sur les mains, c’est du sang ». Lady Macbeth poursuit : « Sotte pensée que de dire que c’est un triste spectacle ». Macbeth : « Il y en a un qui a ri dans son sommeil et l’autre qui a crié ‘Au meurtre !’ si bien qu’ils se sont réveillés l’un l’autre. Je me suis arrêté, les écoutant, mais ils ont dit leurs prières et ils se sont rendormis ». Lady Macbeth : « Il sont dans la même chambre ? ». Macbeth : « L’un a crié ‘Dieu vous bénisse !’ et l’autre ‘Amen !’ comme s’ils m’avaient vu avec ces mains de bourreau… moi je n’ai pu dire ‘amen’ quand ils ont dit ‘Dieu vous bénisse’ ». Lady Macbeth : « N’y pensez pas aussi profondément ». Macbeth hurle presque : « Pourquoi… n’ai-je pas pu… prononcer ‘Amen’ ? J’avais affreusement besoin de bénédiction mais cet ‘Amen’ m’est resté collé dans la gorge ». Lady Macbeth : « N’y pensez pas aussi profondément sinon c’est à devenir fou ! ». Lady Macbeth devient plus expressive comme si elle vivait, elle aussi, les choses avec une prégnance nouvelle. Macbeth : « Il m’a semblé entendre une voix crier ‘Ne dormez plus ! Macbeth assassine le sommeil !’ ». [“Lady Macbeth : A foolish thought, to say a sorry sight. / Macbeth : There’s one did laugh in’s sleep, and one cried ‘Murder !’ / That they did wake each other. I stood and heard them. / But they did say their prayers and addressed them / Again to sleep. Lady Macbeth : There are two lodged together. Macbeth : One cried ‘God bless us’ and ‘Amen’ the other, / As they had seen me with these hangman’s hands. / List’ning their fear I could not say ‘Amen’ / When they did say ‘God bless us.’ / Lady Macbeth : Consider it not so deeply. Macbeth : But wherefore could not I pronounce ‘Amen’ ? / I had most need of blessing, and ‘Amen’ / Stuck in my throat. Lady Macbeth : These deeds must not be thought / After these ways. So, it will make us mad. Macbeth : Methought I heard a voice cry ‘Sleep no more, / Macbeth does murder sleep’” (II.1.19-34)]. Un changement de plan (59.58) surprend un machiniste qui en invite un autre à venir voir quelque chose. Ils entrouvrent une porte et suivent du regard quatre hommes qui emmènent sur une civière le cadavre de Bertal en costume de scène. Pendant ce temps, en surimpression sonore, les paroles de Macbeth continuent de résonner : « L’innocent sommeil, le sommeil qui dévide l’écheveau embrouillé des soucis et la voix criait à toute la maison ‘Ne dormez plus ! Glamis a assassiné le sommeil ! C’est pourquoi Cawdor ne dormira plus’ ». Un policier recouvre le corps d’une couverture. « ‘Macbeth ne dormira plus !’ ». [“Macbeth: ― the innocent sleep, / Sleep that knits up the ravelled sleave of care, / […] Still it cried ‘Sleep no more’ to all the house, / ‘Glamis hath murdered sleep, and therefore Cawdor / Shall sleep no more, Macbeth shall sleep no more.’” (II.1.34-41)].
Dans la version René Chateau, la caméra revient sur la représentation. Lady Macbeth réplique : « Il faut reporter ces poignards et barbouiller de sang les valets endormis ». Macbeth : « Je n’irai plus. Le regarder encore, je ne peux pas ». Froide, dure, Lady Macbeth exige : « Donnez-moi les poignards. Les dormants et les morts ne sont que des images. C’est l’œil d’un enfant qui craint le diable peint. S’ils saignent encore, je barbouillerai de son sang la figure de ces gens car il faut que ce soit leur crime ». [“Why did you bring these daggers from the place ? / They must lie there. Go, carry them, and smear / The sleepy grooms with blood. Macbeth : I’ll go no more. […] Look on’t again I dare not. […] / Lady Macbeth : Give me the daggers. The sleeping and the dead / Are but as pictures. ’Tis the eye of childhood / That fears a painted devil. If he do bleed / I’ll gild the faces of the grooms withal, / For it must seem their guilt” (II.1.46-55)]. Elle se dirige vers l’escalier qui monte à la chambre du roi. Un changement de plan dévoile un machiniste en compagnie du policier qui lâche : « Bah, mon vieux, quelle poupée, hein ! ». Le machiniste tape plusieurs coups avec un marteau sur une planche de bois pour simuler les coups frappés à la porte du château. Le policier, surpris, s’enquiert : « Mais qu’est-ce que tu fais ? ». Le machiniste répond tout naturellement qu’on frappe à la porte. On voit encore là le décalage entre les deux univers : pour l’un ce sont des coups de marteau, pour l’autre, un personnage frappant à la porte ; l’un s’arrête sur le seul signifiant théâtral, l’autre sur le seul signifié. Dans les cintres, l’habilleuse badigeonne les mains d’Aurélia de rouge pendant que les coups résonnent de nouveau. Macbeth s’interroge : « Où frappe-t-on ? Dans quel état suis-je que le moindre bruit m’épouvante ? ». Lady Macbeth descend le rejoindre. Macbeth : « Quelles sont ces mains-là ? Oh, elles m’arrachent les yeux. Tout l’océan du grand Neptune pourrait-il laver le sang de ces mains-là ? ». Lady Macbeth : « Voilà, mes mains ont la couleur des vôtres mais j’aurais honte de porter un cœur aussi blême ». [“Whence is that knocking ? ― / How is’t with me when every noise appals me ? / What hands are here ! Ha, they pluck out mine eyes. / Will all great Neptune’s ocean wash this blood / Clean from my hand ? […] Lady Macbeth : My hands are of your colour, but I shame / To wear a heart so white” (II.1.55-63)].
Les deux versions vidéo se rejoignent ici (1.00.21). Changement de séquence. L’inspecteur en chef dîne à la place occupée par Sigurd plus tôt dans la soirée. Le patron raconte que le vieux Sigurd était là, à cette même table, à boire tranquillement avec « Monsieur Ludo » et « Madame Aurélia ». L’air de rien, tout en continuant impassiblement à se sustenter, l’inspecteur remarque : « Ah oui, ils étaient ensemble ? ». Le patron précise que Sigurd était venu boire seul mais que, comme Monsieur Ludo et Mme Aurélia l’avaient vu désemparé par la scène avec Monsieur Bertal, ils lui avaient demandé de venir à leur table. L’inspecteur, comme si de rien n’était, après un commentaire sur la qualité gustative de l’omelette, cherche à savoir ce qu’Arn disait à Sigurd, s’il cherchait à le calmer. Le patron explique qu’avec un ivrogne comme lui, autant abonder dans son sens, qu’Arn avait dit que Bertal était un salaud et que quand il avait décidé de couler quelqu’un… Que, depuis quelque temps, il n’offrait plus de rôle à Sigurd. L’officier s’attarde sur la qualité du Beaujolais avant de conclure qu’il a bien fait de venir ici. Son regard pétillant laisse entendre que l’enquête n’est peut-être pas finie…
Macbeth, couronné, assis sur le trône, s’adresse à trois hommes (1.01.26) : « Vous avez bien réfléchi à ce que je vous ai dit hier ? Sachez que c’est lui qui vous a maintenus dans une position subalterne… » (tout comme Bertal, qui devait jouer Banquo, est responsable de la déchéance de Sigurd, accusé de l’avoir assassiné), « Je vous prouverai comme vous avez été dupés, toujours contrecarrés. Et vous serez obligés de dire ‘Voilà ce qu’a fait Banquo. C’est à lui que nous devons notre misère’ ». 1er meurtrier : “Nous comprenons maintenant, monseigneur ». [“Was it not yesterday we spoke together ? […] Have you considered of my speeches ? Know / That it was he in the times past which held you / So under fortune […] This I made good to you […] How you were borne in hand, how crossed, […] To […] Say ‘Thus did Banquo’. First Murderer : You made it known to us” (III.1.75-85)]. Changement de plan sur l’inspecteur-adjoint en compagnie du technicien (1.01.45) : « Bah, moi, je comprends plus. Qui c’est qu’il va faire bousiller, maintenant ? ». Banquo à l’arrière-plan prend la parole de sa voix nasillarde : « C’est moi, eh, tête de lard ». Nouvelle fusion entre les deux niveaux de fiction ; par ailleurs l’acteur garde le même langage imagé que Bertal. L’inspecteur-adjoint pivote vers les coulisses pour découvrir l’auteur de la réplique, s’excuse, se tourne vers la scène pour faire à nouveau volte-face en direction de Léonard/Banquo. Le technicien guette l’instant où il devra entrechoquer deux moitiés de noix de coco pour simuler le martèlement de sabots. Macbeth poursuit hors-champ : « Alors, serez-vous assez patients pour passer sur ces choses ? ». Retour à la représentation (1.01.55). Il est intéressant de noter la stratégie cinématographique qui consiste, ici mais aussi ailleurs, à superposer la voix de Macbeth sur la fin du plan précédent. « Assez angéliques pour ne pas vous venger d’un homme dont la lourde main vous a tout fait rater toujours dans votre chienne de vie ? ». Macbeth descend du trône et rassemble le trio autour de lui : « Voulez-vous m’aider, tous les trois ? Notre ennemi est le même et je ne respirerai pas tant qu’il vivra ». [“Do you find / Your patience so predominant in your nature / That you can let this go ? Are you so gospelled / To pray for this good man and for his issue, / Whose heavy hand hath bowed you to the grave / And beggared yours for ever ? […] Banquo was your enemy […] So is he mine, and in such bloody distance / That every minute of his being thrusts / Against my near’st of life” (III.1.87-119)].
Plan sur les coulisses (1.02.10). Inspecteur : « Oh, le salaud, il remet ça, hein ? ». Machiniste : « Forcément, son copain en sait trop long… ». Les paroles de Macbeth se poursuivent en sourdine. « Tu comprends, il était avec lui quand les sorcières y ont prédit qu’il serait roi. Alors le Macbett, maintenant qu’il s’est débarrassé du vieux, il se doute que l’autre se doute. Ils vont tous y passer que j’te dis. C’est un massacre ». Un policier vient chercher l’inspecteur-adjoint. Encore une fois le policier qui arrive du fond des coulisses est visible avant la fin de la réplique du machiniste. Il lui demande de retrouver le chef au bistrot d’en face. L’inspecteur-adjoint au machiniste : « Tu me raconteras la suite, hein, je reviens ! ».
Changement de séquence (1.02.32). Les quelques secondes qui suivent ne figurent que dans la version René Chateau. L’inspecteur-adjoint rejoint son supérieur devant le bistrot. Celui-ci lui demande ce qu’il se passe dans sa pièce sans mentionner les soupçons qui l’animent depuis son entretien avec le patron du bistrot. L’inspecteur-adjoint : « Patron, ça se corse ». Raccord avec l’édition Gaumont. « Ce salaud de Macbett est en train de persuader deux pauvres couillons que c’est l’autre barbu qui fait tout leur malheur dans la vie et qu’il faut le descendre lui aussi ». L’inspecteur trouve que c’est curieux et confie qu’il lui est venu des idées dans ce genre-là en « bouffant » son omelette. « Peut-être que la vie est aussi subtile que le théâtre, après tout. Viens ».
Retour sur scène (1.02.50). Les trois meurtriers sont disposés dans l’espace constitué de quelques arbres dénudés et sombres. On comprend que les deux inspecteurs vont assister au meurtre de Banquo, le sosie de Bertal. 1er meurtrier : « Au couchant, une barre de lumière luit encore. Maintenant, le voyageur attardé éperonne son cheval pour tâcher d’atteindre l’auberge désirée ». [“The west yet glimmers with some streaks of day. / Now spurs the lated traveller apace / To gain the timely inn…” (III.3.5-7)]. On entend comme un bruit de sabots, de toute évidence produit par l’entrechoquement des deux moitiés de noix de coco du machiniste. Les hommes sont aux aguets. « Et voici qu’approche celui que nous attendons ». 3e meurtrier : « Écoutez, j’entends des chevaux ». 1er meurtrier : « Alors c’est lui. Tous les autres invités sont déjà au palais ». 1er meurtrier : « Une torche ! Une torche ! ». 1er meurtrier : « C’est lui. Attention ! ». Ils se cachent. Banquo et Fléance entrent. Banquo : « Il y aura de la pluie cette nuit ». 1er meurtrier : « Qu’elle tombe ! ». Banquo est assassiné. Il gémit : « Trahison ! ». Plan sur Macbeth et Lady Macbeth qui assistent à la scène depuis une fenêtre du château (1.03.26) pendant qu’on entend : « Fuis, mon Fléance, fuis ! ». La main de Macbeth se crispe sur l’épaule de Lady Macbeth. Retour sur le meurtre (1.03.29) : « Fuis, tu pourras me venger. Ah, misérable Macbett ! ». 3e meurtrier : « Qui a éteint la lumière ? Il n’y a qu’un corps par terre. Le p’tit a filé ». Les meurtriers s’enfuient. [“… and near approaches / The subject of our watch. Third Murderer : Hark, I hear horses. / Second Murderer : Then ’tis he. The rest / That are within the note of expectation / Already are i’th’ court. / […] A light, a light. Third Murderer : ’Tis he. / First Murderer : Stand to’t. / Banquo : It will be rain tonight. First Murderer : Let it come down. / Banquo : O, treachery ! Fly, good Fleance, fly, fly, fly ! / Thou mayst revenge. ― O slave ! / Third Murderer : Who did strike out the light ? […] There’s but one down. The son is fled” (III.3.7-21)].
Changement de séquence (1.03.39). Les deux officiers se trouvent dans une loge. L’inspecteur en chef arpente la pièce pendant que l’inspecteur-adjoint s’étonne : « Non ? Vous les soupçonnez, patron ? Mais si c’étaient eux qui avaient fait le coup, ils ne pourraient pas jouer comme cela sans se démonter ». L’inspecteur en chef : « Ils se démontent peut-être, couillon ! […] Allons voir la pièce tous les deux ! Je commence à m’intéresser sérieusement au théâtre… moi aussi ».
La salle de réception cadrée depuis le balcon avec les têtes des spectateurs en premier plan (I.04.01). Les trompettes annoncent l’arrivée du roi et de la reine. Macbeth : « Une fois pour toutes, du fond du cœur, soyez les bienvenus ! Vous connaissez vos rangs. Prenez place. Lords : « Merci à votre altesse ». Macbeth : « Les deux côtés sont égaux ; je prendrai donc place au milieu ». Il reste debout et se déplace discrètement en direction d’un des meurtriers campé à une entrée : « Réjouissez-vous généreusement. Bientôt nous boirons rasades à la ronde. [Au meurtrier] Il y a du sang sur ton visage ». Celui-ci s’essuie : « Alors c’est celui du vieux Banquo ». On notera l’ajout de « vieux », sorte de leitmotive dans le film, pour plus d’analogie avec Bertal sans doute. Macbeth : « Il est mieux sur toi que dans ses veines. Est-il expédié ? ». Meurtrier : « Il a la gorge coupée. J’ai fait cela pour lui ». Macbeth : « Tu es le meilleur coupe-gorge, mon fils. Reviens me voir demain. Je te revaudrai cela ». [“You know your own degrees ; sit down. At first and last / The hearty welcome. Lords : Thanks to your majesty. / […] Both sides are even. Here I’ll sit, i’th’ midst. / Be large in mirth. Anon we’ll drink a measure / The table round. (To First Murderer) There’s blood upon thy face. / First Murderer (aside to Macbeth) : ’Tis Banquo’s, then. / Macbeth : ’Tis better thee without than he within. / Is he dispatched ? / First Murderer : My lord, his throat is cut. That I did for him. / Macbeth : Thou art the best o’th’ cut-throats. […] Get thee gone. Tomorrow / We’ll hear ourselves again” (III.4.1-31)].
Un changement de plan découvre un machiniste, dans les coulisses (1.05.00), affairé à tamiser la lumière avec des morceaux de tissu, qu’il agite devant un projecteur. Les deux inspecteurs entrent par une porte située au fond. Ils l’observent. Les paroles de la pièce sont à peine audibles. Alors que les deux hommes s’approchent de la scène, on entend plus clairement : « … tout l’honneur du pays se trouverait sous notre toit si la gracieuse personne de Banquo était ici présente. Puissé-je avoir à lui reprocher une incivilité… ». [“Here had we now our country’s honour roofed / Were the graced person of our Banquo present, / Who may I rather challenge for unkindness…” (III.4.39-41)]. L’inspecteur en chef s’adresse au directeur du théâtre occupé à surveiller le bon déroulement de la pièce derrière le rideau. L’inspecteur demande ce qu’il se passe. Directeur : « La scène du banquet. Macbett voit le spectre de sa victime qui vient s’asseoir à la table au milieu des seigneurs et en devient presque fou de terreur ». Inspecteur : « Très intéressant. Ça prend encore ce truc-là au théâtre ? ». Il glisse un œil par le rideau. La voix-off de l’inspecteur dans la vidéo Gaumont (1.05.28) occulte partiellement les paroles de la pièce qui transpirent à l’arrière-plan acoustique : « Là, ça devenait du vrai billard ». Un changement de plan laisse voir le spectre de Banquo qui enfile lentement un long couloir. La voix-off poursuit : « Le spectre de la pièce auquel personne ne croyait d’habitude, ça allait être un vrai spectre ce soir pour lui : le sosie de l’homme qu’il venait de tuer. Ce soir, il n’allait pas seulement simuler l’épouvante, il allait avoir peur vraiment ». Alors que le spectre de Banquo avance insensiblement vers la caméra et sort de l’obscurité, le sang que l’on découvre sur ses tempes rend plus incisive encore sa ressemblance avec Bertal, frappé par la crosse du revolver. Pendant que Macbeth invite ses hôtes à festoyer (1.05.44), le fantôme s’assoit à la place de son meurtrier : « Allons ! Qu’une bonne digestion seconde l’appétit et bonne santé à tous ». [“Now good digestion wait on appetite, / And health on both” (III.4.37-38)]. Macbeth lève son verre, aussitôt imité par la tablée. L’un des seigneurs convie Macbeth à s’asseoir : « Plaise à votre altesse de s’asseoir ». Macbeth jette un regard à la ronde : « Mais la table est pleine ». Le Lord en désignant la place occupée par le spectre : « Voici une place qui vous est réservée, Sir ». Macbeth : « Où ? ». Lord : « Ici ». Suit la confrontation en gros plan entre Macbeth de dos et le spectre de Banquo/Bertal ensanglanté qui lui fait face. Lord : « Qu’est-ce donc qui émeut votre altesse ? ». [“Lennox : May’t please your highness sit ? […] Macbeth : The table’s full. Lennox : Here is a place reserved, sir. / Macbeth : Where ? / Lennox : Here” (III.4.38-47)].
On voit l’inspecteur qui s’étonne « à quel point cet homme a pu se réussir la tête de Bertal » (1.06.03). Retour sur la scène. Macbeth : « Qui de vous a fait ceci ? ». Un lord se lève : « Quoi, monseigneur ? ». La musique lancinante et obsédante du tuba et du tambour ajoute à la tension. Autre lord : « Mon bon seigneur… ». Macbeth, les yeux exorbités, fait face au spectre : « Tu ne peux pas dire que je l’ai fait, non, ne secoue pas tes boucles ensanglantées ». Lord : « Messieurs, levez-vous, son altesse est indisposée ». Lady Macbeth se lève : « Restez assis, dignes seigneurs. Mon seigneur est souvent ainsi et cela depuis sa jeunesse ». Macbeth se redresse. « La crise est passée. Le temps d’une pensée, il revient à lui ». [“Which of you have done this ? Lords : What, my good lord ? / Macbeth (to the ghost) Thou canst not say I did it. Never shake / Thy gory locks at me. / Ross (rising) : Gentlemen, rise. His highness is not well. / Lady Macbeth : Sit, worthy friends. My lord is often thus, / And hath been from his youth. […] The fit is momentary. Upon a thought / He will again be well”] (III.4.48-55)]. Plan sur l’inspecteur en chef aux côtés du directeur (1.06.31). S’approche Laurent, le visage crispé pendant qu’on entend Lady Macbeth hors champ : « Si vous y faites trop attention, vous l’offensez et augmentez son mal ». Retour sur la scène : « Mangez. Ne le regardez pas ». Elle rejoint Macbeth : « Êtes-vous un homme ? ». Macbeth sans quitter le spectre des yeux : « Oui et un homme hardi qui ose regarder en face ce qui ferait pâlir le démon ». Lady Macbeth : « Alors pourquoi faire de pareilles grimaces ? Au bout du compte, vous ne regardez qu’une chaise ». Macbeth : « Je t’en prie, là, regarde, regarde ! ». Il s’approche du spectre : « Que dis-tu ? ». Le spectre se lève. Macbeth : « Que m’importe ! Si tu peux remuer la tête, mais parle donc aussi. Si les charniers et les tombeaux renvoient ceux que nous enterrons, nous prendrons pour sépulcre le ventre des milans ! ». Lady Macbeth : « Quoi, êtes-vous donc tout à fait fou ? ». Macbeth hurlant et grimaçant : « Allez, quitte ma vue ! Que la terre te cache ! Tes os n’ont pas de moelle ! Ton sang est froid ! Tu n’as pas de regard dans tes yeux qui flamboient ! ». [“If much you note him / You shall offend him, and extend his passion. / Feed, and regard him not. (She speaks apart with Macbeth) Are you a man ? / Macbeth : Ay, and a bold one, that dare look on that / Which might appal the devil. […] / Lady Macbeth : Why do you make such faces ? When all’s done / You look but on a stool. / Macbeth : Prithee see there. Behold, look, lo ― how say you ? / Why, what care I ? If thou canst nod, speak, too ! / If charnel-houses and our graves must send / Those that we bury back, our monuments / Shall be the maws of kites. Lady Macbeth : What, quite unmanned in folly ? […] Macbeth : Avaunt, and quit my sight ! Let the earth hide thee. / Thy bones are marrowless, thy blood is cold. / Thou hast no speculation in those eyes / Which thou dost glare with” (III.4.55-95)]. La tablée se lève (1.07.26), effrayée par ces propos aussi macabres que psychotiques. La représentation est digne des plus grands et Bertal lui-même ne pourrait y trouver à redire ! Lady Macbeth : « Ne voyez là, nobles pairs, qu’une étrange infirmité qui n’est rien pour ceux qui le connaissent ! Il va se remettre ». Macbeth : « Ce que ose l’homme, je l’ose. Approche ! ». Il pousse sans ménagement hors de son chemin un lord pour aller à l’encontre du spectre : « pareil à l’ours hérissé de Russie, au rhinocéros cuirassé, au tigre atterré de sang. Mes nerfs ne trembleront pas. Reviens à la vie et défie-moi dans le désert, l’épée au poing. Si je tremble, alors proclame-moi la poupée d’un enfant ». Il s’approche à quelques centimètre du spectre, les yeux exorbités : « Hors d’ici, ombre horrible ». [“Think of this, good peers, / But as a thing of custom. ’Tis no other ; / […] Macbeth : What man dare, I dare. / Approach thou like the ruggèd Russian bear, / The armed rhinoceros, or th’Hyrcan tiger ; / Take any shape but that, and my firm nerves / Shall never tremble. Or be alive again, / And dare me to the desert with thy sword. / If trembling I inhabit then, protest me / The baby of a girl. Hence, horrible shadow” (III.4.95-105)].
Gros plan sur le visage de Banquo dont le visage se contracte (1.08.01). C’est alors que tout bascule. Au sommet de l’intensité dramatique, Ludovic empoigne le sosie de Bertal et lui crache ses paroles à la figure, propos qui n’appartiennent plus à la fiction shakespearienne : « Salaud, va ! Salaud ! Aurélia, c’est toi qui me l’a prise ! C’est toi qui m’a drogué… ». Un changement de plan (1.08.10) donne à voir les coulisses où Laurent, les yeux écarquillés, s’approche entre les deux officiers qui échangent un regard stupéfait : « … pour que je devienne une loque et que je la perde… ». Un autre plan révèle le public paniqué qui se lève. La caméra revient sur Ludovic et Léonard. Il a tout juste le temps de jeter un dernier « Salaud » avant de perdre connaissance et de s’écrouler aux pieds du sosie de Bertal. Aurélia se précipite vers lui (1.08.20) pendant que le directeur appelle pour qu’on baisse le rideau. Les spectateurs restent interloqués. Brouhaha dans la salle. Le directeur se glisse entre les rideaux et vient annoncer que l’acteur sera en état de reprendre la représentation dans quelques instants. Applaudissements. On retrouve dans les coulisses le personnel qui commente le malaise de leur confrère. L’acteur est débarrassé de son armure avant que le médecin, appelé en urgence, ne l’examine. Le sosie de Bertal se plaint qu’il a attendu deux ans pour le doubler et que le soir où il « claque » enfin et où il va pouvoir jouer le rôle, il y a « l’autre qui me bouffe ma réplique ». L’inspecteur s’éclipse avec son adjoint à qui il demande de les surveiller. « Belle chose que le théâtre ». Il préfère les laisser finir la pièce. Il décide de retourner quant à lui interroger son « client au dépôt ».
L’inspecteur en chef attend dans une pièce en se réchauffant les mains au-dessus d’un poêle (1.10.09). Un policier fait entrer Sigurd. L’officier lui dit qu’il l’a convaincu et qu’il préfère Corneille. Il lui demande pourquoi il ne lui a pas dit qu’on l’avait poussé à tirer sur Bertal. Dans la version René Chateau, un policier qui monte la garde devant le théâtre discute avec deux chauffeurs de taxi. On apprend que la représentation a été suspendue pendant vingt bonnes minutes. Il demande à ses interlocuteurs s’ils avaient déjà vu Bertal au cinéma. On lui répond que oui, qu’il jouait souvent des rôles de « flic » et qu’il avait du talent. Les deux vidéo se rejoignent. L’habilleuse et un autre homme bougonnent que les acteurs commencent seulement « le cinq » (c’est-à-dire l’acte V) et qu’il est déjà plus de minuit. L’inspecteur revient sur les lieux et s’enquiert si la représentation a repris. L’homme lui répond par l’affirmative. Retour sur scène (1.10.52). Lady Macbeth descend lentement les marches du château, drapée de blanc, sans quitter sa main des yeux : « Il y a là toujours l’odeur du sang. Tous les parfums de l’Arabie ne purifieraient pas cette petite main-là ». [“Here’s the smell of the blood still. All the perfumes of Arabia will not sweeten this little hand” (V.1.48-49)]. Elle passe devant l’inspecteur-adjoint qui surveille derrière un panneau du décor (1.11.06). L’inspecteur en chef le rejoint : « C’est la p’tite qui est en scène ? ». Inspecteur-adjoint : « Oui, oui ». Inspecteur en chef : « Dès qu’elle va sortir, on s’occupe d’elle ».
Toujours en coulisses, les deux journalistes sont revenus et insistent auprès du policier en faction pour voir Monsieur Bertal (1.11.12). Ils disent que Bertal les attend, qu’ils sont de la radio et qu’ils doivent récupérer leur appareil. Le policier leur réplique que Bertal ne les attend plus puisqu’il est mort. L’inspecteur regagne la loge, suivi d’Aurélia et de son adjoint. Quand les journalistes lui disent vouloir récupérer leur appareil, il commence par les renvoyer sans façon avant de revenir sur ses pas pour demander comment fonctionne l’appareil. L’inspecteur demande à entendre la bande depuis le moment où les journalistes ont laissé Bertal seul dans sa loge. Pendant que la caméra vient cadrer Aurélia de face, assise sur un canapé, les yeux fixes, sans cillement aucun, on entend à nouveau : « Macbett, c’est l’histoire sordide d’un crime et c’est tout ». La bande continue alors que la caméra revient tantôt sur les hommes groupés autour du magnétophone, tantôt sur Aurélia : « Mais autour de ce crime, toute la poésie radieuse et sombre de Shakespeare ». D’un geste, l’un des deux journalistes indique que leur enregistrement s’arrête là et que le reste a été enregistré par Bertal plus tard, alors qu’il était seul. La voix poursuit : « Mais qu’est-ce qu’un crime… ». Le regard d’Aurélia se vide alors qu’elle se plonge dans ses pensées : « … sinon le dénouement naturel de toute aventure humaine ? Nous sommes tous de pauvres bêtes de proie et seule notre lâcheté congénitale nous empêche d’aller jusqu’au bout de nos gestes. C’est pourquoi la justice juge au fond assez peu de crimes ». L’inspecteur-adjoint rejoint les trois hommes autour de l’appareil qui prend une importance monumentale. « Il y a des crimes sanglants et brutaux et il y a des crimes lents aussi où tous les coups qu’on porte sont mesurés et silencieux et où il ne coule pas une seule goutte de sang… ». Aurélia incline la tête, ses paupières sont baissées : « … mais où l’on tue tout de même… ». Elle lève un regard lourd de sous-entendu qu’elle porte sur l’appareil une nouvelle fois : « … quelquefois parce qu’on aime encore… ». L’expression de son regard devient plus intense encore, sa respiration oppressée. La bande s’interrompt un instant. La caméra opère un zoom sur le visage d’Aurélia, comme pétrifiée, les yeux attachés sur l’appareil. Les quatre hommes s’agitent et s’interrogent. La bande continue à défiler. L’appareil n’a pas été éteint. L’inspecteur en chef fait signe de patienter. On entend une porte s’ouvrir. Le dénouement approche. Bourru, Bertal demande : « Qu’est-ce que tu veux encore ? Fous-moi le camp ! ». Sigurd : « Monsieur Bertal, vous voulez me couler parce que vous êtes jaloux de mon talent mais vous allez payer, maintenant ». On entend des bruits de pas précipités puis de corps à corps. Bertal : « Mais tu es fou, bougre de cochon. Veux-tu foutre le camp ! Ah ! ». Un cri de douleur est arraché à Bertal dont on entend le corps s’effondrer sur le sol. On entend Sigurd s’éloigner en courant. Aucun coup n’a été tiré. L’inspecteur en chef approche sa tête du haut-parleur comme pour mieux entendre la suite (1.14.02). L’atmosphère est tendue. Toute l’attention est focalisée sur l’appareil. À peine quelques secondes plus tard, un bruit de pas mesurés résonne. Contre toute attente, la voix de Bertal se fait à nouveau entendre : « Vous venez voir si je suis crevé, hein ? C’est vous qui l’avez envoyé ? Tu vas me le payer, toi ». On entend une bagarre. Puis les cris d’Aurélia : « Ludo ! Ludo ! ». Aurélia porte une main à sa gorge, les yeux figés et grand ouverts. Puis trois coups de feu secs. Aurélia met ses mains sur ses oreilles et hurle : « Arrêtez ! Arrêtez ! ». L’enregistrement sert encore de lien entre les deux mondes. Elle avoue (1.14.30) : « C’est nous qui l’avons tué. Ce n’est pas Sigurd ». L’inspecteur demande pourquoi celui-ci a avoué. Aurélia explique qu’il était saoul ; qu’il lui a donné un coup de crosse sur la tête ; qu’il a voulu tirer mais que le revolver s’est enrayé et qu’il l’a jeté avant de fuir, croyant avoir tué Bertal. C’est à ce moment-là qu’Aurélia est entrée. Bertal s’est jeté sur elle, plein de sang. Il voulait l’étrangler. Elle a crié. Ludovic est entré. Il a ramassé le revolver et a tiré (1.15.07). L’inspecteur demande à Gobinet de s’occuper d’elle pendant que lui-même se charge de Ludovic. Alors Aurélia pousse des cris : « Non ! Ludo ! Ludo ! Ce n’est pas vrai ! Je l’ai pas dit, je l’ai pas dit, je lai pas dit ! ».
On a tout à fait oublié la pièce pendant ce temps et on est surpris d’y être à nouveau projeté (1.15.25). Macbeth descend les marches du château et demande : « Quel est ce bruit ? ». Seyton : « Ce sont des cris de femme, mon bon seigneur. Je vais voir ». [“What is that noise ? / Seyton : It is the cry of women, my good lord” (V.5.7-8)]. Ces cris coïncident étonnamment avec ceux d’Aurélia. Macbeth : « J’ai presque oublié le goût de la peur. L’épouvante familière à mes pensées de meurtre ne peut plus me faire tressaillir. [Entre Seyton] Pourquoi ce cri ? ». Seyton : « La reine est morte, monseigneur ». Macbeth : « Elle aurait dû mourir plus tard. Alors il y aurait eu place pour un tel mot. Éteins-toi, éteins-toi, court flambeau. La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre histrion qui se pavane et se réchauffe sur la scène et puis qu’on n’entend plus. Une histoire contée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien ». [“Wherefore was that cry ? / Seyton : The Queen, my lord, is dead. Macbeth : She should have died hereafter. / There would have been a time for such a word. / […] Out, out, brief candle. / Life’s but a walking shadow, a poor player / That struts and frets his hour upon the stage, / And then is heard no more. It is a tale / Told by an idiot, full of sound and fury, / Signifying nothing” (V.5.15-27)]. Macbeth est accablé. Toute l’intensité de la scène précédente s’est vidée.
Changement de séquence (1.16.14). L’inspecteur entre dans les coulisses et demande au directeur si la représentation est finie. Le directeur raconte qu’il « reste à Macbett à mourir. Les trois sorcières lui ont dit son destin. Macbett ne peut être vaincu que lorsque le bois de Birnam gravira la côte jusqu’à Dunsinane et par un homme qui ne serait pas né d’une femme ». Les décors, figurant des arbres dépouillés, sont acheminés vers la scène, masquant l’inspecteur et le directeur qui poursuit son récit. Les paroles s’impriment sur les acteurs qui défilent dans les coulisses derrière des écrans de branchages : « Mais voici qu’à la scène suivante, les soldats de Malcolm, le fils du roi que Macbett a tué, vont progresser, couverts de branches d’arbres, du bois de Birnam jusqu’à Dunsinane, où Macbett les attend pour se battre une dernière fois et réaliser les prophéties ». Dans la version Gaumont, après que le directeur a expliqué qu’il « reste à Macbett à mourir », la voix-off de l’inspecteur en chef commente, sur fond de musique aussi lancinante que menaçante : « Justement, celui qui devait le tuer dans la pièce, c’était le p’tit qui aimait le patron et qui se doutait de tout, lui aussi ». La caméra se focalise dans les deux versions sur le regard farouche de Laurent, fils spirituel de Bertal dans le rôle de Malcolm. Juché en haut de l’escalier, Macbeth demande : « Et maintenant un bois marche sur Dunsinane, dis-tu ? ». Les soldats gagnent la scène en contrebas derrière leurs branchages. « Si tu dis vrai, nul moyen de fuir ou de rester. Je commence à être las du soleil et souhaite que l’univers s’abîme. Sonnez la cloche d’alarme ! Souffle, vent ! Accourez, désastres ! Que du moins je périsse, le harnais de guerre sur le dos ! ». [“… and now a wood / Comes toward Dunsinane. […] / If this which he avouches does appear / There is nor flying hence nor tarrying here. / I ’gin to be aweary of the sun, / And wish th’estate o’th’ world were now undone. / Ring the alarum bell. [Alarums] Blow wind, come wrack, / At least we’ll die with harness on our back” (V.5.43-50)]. Macbeth regagne les coulisses quand il est littéralement happé par l’inspecteur qui le saisit par le bras et lui propose un marché : qu’il soit beau joueur et il pourra finir la scène (1.17.20).
Aurélia est emmenée par un policier, escorté de l’inspecteur-adjoint, dans un fourgon garé devant le théâtre (1.17.24), où se lisent les affiches de la pièce pendant que des renforts de police arrivent sur les lieux. Ils investissent le théâtre, se mêlant aux acteurs qui attendent leur tour sur les côtés de la scène. Macbeth est là : « Ils m’ont lié à un poteau… Je ne peux plus fuir ». Un regard oblique lui indique les policiers juste à l’extérieur de la scène : il est effectivement piégé comme l’ours de son discours. « … [M]ais comme l’ours, il faut subir l’attaque. Où est celui qui n’est pas né d’une femme ? ». Malcolm attend derrière lui, en coulisse, farouche. « C’est lui que je dois craindre et nul autre ». [“They have tied me to a stake. I cannot fly, / But bear-like I must fight the course. What’s he / That was not born of woman ? Such a one / Am I to fear, or none” (V.6.1-4)]. Malcolm bondit sur la scène : « Tourne-toi, chien d’enfer, tourne-toi ! Et bats-toi ! ». [“Turn, hell-hound, turn" (V.10.3)]. Les coups d’épée retentissent avec réalisme. Dans un changement de plan (1.18.05), l’inspecteur-adjoint se fraie un chemin au milieu des policiers et des acteurs costumés qui encombrent les coulisses jusqu’à son supérieur. La musique et l’entrechoquement des épées continuent de raisonner. Il informe l’inspecteur en chef qu’Aurélia a été « embarquée » et qu’on n’attend plus que « l’autre ». L’inspecteur en chef lui dit que c’est la fin. Retour sur scène (1.18.14). L’échange qui suit est propre à la vidéo René Chateau : « Garde ta peine. Si tu t’occupes de me faire saigner, tu marqueras avec ton épée l’air léger que nul ne peut blesser. Je vis sous un charme. Je ne peux être tué par un homme né d’une femme ». [“Thou losest labour. / As easy mayst thou the intrenchant air / With thy keen sword impress as make me bleed. / [ …] I bear a charmèd life, which must not yield / To one of woman born” (V.10.8-13)]. Le fracas des armes, la musique tonitruante rendent les paroles difficiles à saisir. Macduff : « Désespère de ton charme. Que les anges qui ont été … fut tiré avant terme du ventre de sa mère… ». Macbeth : « … le meilleur de ma force ». Après la coupure indiquée, le DVD Gaumont rejoint l’édition première en ce point. Macduff : « Rends-toi ! ». Macbeth : « … non… pour servir de spectacle à la canaille… Il me reste mes chances d’homme et je risque le double… frappe donc et damné soit celui qui criera le premier ‘Arrêt. C’est assez’ ». [“Despair thy charm, / And let the angel whom thou still hast served / Tell thee Macduff was from his mother’s womb / Untimely ripped. / Macbeth : Accursèd be that tongue that tells me so, / For it hath cowed my better part of man […]. Macduff : Then yield thee […]. Macbeth : I will not yield / To kiss the ground before young Malcolm’s feet, / And to be baited with the rabble’s curse. / […] Lay on, Macduff, / And damned be him that first cries ‘Hold, enough !’” (V.10.13-34)]. Dans la version Gaumont, la fin de la réplique est éclipsée par la voix off de l’inspecteur en chef (1.18.18) : « Et ils gueulaient tous les deux ! On sentait qu’ils jouaient comme des cochons… On sentait qu’ils ne pensaient qu’au meurtre de Bertal et pas à celui de la pièce ».
Macbeth quitte la scène (1.18.32), poursuivi par Macduff. Une fois dans les coulisses, les deux hommes se débarrassent de leurs armes factices et Laurent saisit Ludovic à la gorge. Dans leur lutte, les deux hommes ébranlent les décors de carton-pâte pendant qu’éclatent les applaudissements enthousiastes de la salle. Macbeth finit par jeter son adversaire au bas de l’estrade alors que la rambarde de bois cède sous le poids des assaillants. Ludovic s’enfuit en déjouant les policiers, appelant Aurélia, jusqu’à ce que l’un d’eux parvienne à l’arrêter dans sa course. Il est maintenu à terre par plusieurs agents. L’inspecteur lui lance qu’il la retrouvera, son Aurélia. Afin de mieux le maintenir, un agent de police le saisit par la chevelure et lui arrache involontairement sa perruque (1.19.07). Un bel enchaînement (1.19.11) focalise la caméra sur la tête tranchée et sanguinolente de Macbeth que Macduff tient par les cheveux et brandit du haut des escaliers : « Salut, roi ! car tu l’es. Regarde où se dresse la tête maudite du monstre. Le monde est libre. Salut, roi d’Écosse ! ». Tous reprennent en chœur : « Salut, roi d’Écosse ! » (1.19.27). [“Hail, King, for so thou art. Behold where stands / Th’usurper’s cursèd head. The time is free. / […] Hail, King of Scotland ! All but Malcolm : Hail, King of Scotland ! ” (V.11.20-25)].
Pendant que les trompettes acclament leur nouveau roi et que la pièce se termine sous les applaudissements des spectateurs, Ludovic, hagard, est emmené de force (1.19.31), entre deux gendarmes, dans le fourgon qui s’ébranle et s’éloigne dans un hurlement de sirène. La version René Chateau contient quelques centimètres de pellicule soustraits du support Gaumont. La caméra en effet s’introduit dans le véhicule obscur, où la voix de Ludovic demande, tandis que le policier de garde mange avidement son sandwich : « Tu es là, Aurélia ? ». Aurélia : « Oui, je suis là, mon amour ». Ludovic : « Je ne te vois pas ». Aurélia : « Tu ne me verras plus mais je serai toujours là. Ils ne nous sépareront plus, maintenant ». Elle dit qu’ils passent sur la place, qu’ils ne sont pas dans leur cage mais sur leur banc, sous les arbres, pour toujours. Dans la version Gaumont, alors que le fourgon s’éloigne, la voix off de l’inspecteur commente : « Ils étaient tout près l’un de l’autre, dans leur cage, et pourtant, ils ne se reverraient plus jamais sur cette terre ». Le silence de l’inspecteur laisse place au hurlement de la sirène déchirant la nuit du quartier parisien. Un changement de plan révèle les spectateurs qui quittent le théâtre et, avec eux, l’inspecteur et son adjoint (1.20.00). L’inspecteur, en tirant une cigarette de son paquet : « Voilà. On n’a a plus qu’à aller se coucher, mon p’tit pote ». Inspecteur-adjoint : « Eh oui ». Inspecteur : « Pauvres gars. Tous les deux. Au fond, c’est peut-être vrai que c’était l’autre qui était un salaud ». Inspecteur-adjoint : « Enfin, dans la vie, on ne sait jamais, hein ? ». Son visage s’illumine : « Eh, tout de même, patron, avouez que c’est une belle pièce qu’ils ont jouée là… [L’inspecteur en chef hoche la tête] Shakespeare… faudra que je me rappelle ce nom-là ». Les deux hommes quittent le champ pendant que, sous les accordéons, la caméra opère un tracking arrière sur l’extérieur du théâtre déserté. FIN (1.20.42)
English Description
The description that follows and the time code are based on the Gaumont version (2011) which is somewhat different from the René Chateau 1992 VHS footage.
The full credits and, eventually, the title, Le Rideau rouge [The Crimson Curtain], fade in and out over the massive Parisian playhouse first built in 1922 and then known as The Montmartre, and renamed in 1921 by its new director, Charles Dullin, The Théâtre de l’Atelier, where the film was shot in 1952. The edifice is monumentalized by an ever-so-slow zooming in as if the camera impersonated some spectator loitering his way to the building. The camera swivels just as slowly into a low-angle shot over a bunch of trees. It then cuts to the thick boughs of a lofty tree before it sweeps down to the left over another imposing building. On the door is a plaquard with the words “Criminal Brigade – Inspectors’ Office.” A man (who will later be identified as the Assistant Inspector) walks with a springy step into the room. He greets his superior who has just spent the night cross-examining a suspect who would not confess his crime before the small hours. The Chief Inspector asks his Assistant for the morning paper which he skims over before he comes across a column with a photo and caption: “Aurélia Nobli died yesterday at the central prison of Haguenau where she was serving her fifteen-year hard labour sentence. She had been condemned for complicity in the murder of the well-known actor/stage director, Lucien Bertal.” To his assistant’s queries, the Chief Inspector explains that it was a nasty business and feels surprised that the troupe should be putting up Macbett (following the pronunciation of the French actors) again in the very same theatre. The AI confesses that he has never heard of it. The Inspector tells him that it is a play by Shakespeare and that neither he nor his former assistant Gobinet had ever heard of it then either and that they had both decided to read all the “chap’s plays” because they owed him such an awful lot. It was indeed thanks to the play that they had been able to “nab the culprits.” He then sets to relate the whole story for his new assistant: “It all started three years ago when they were rehearsing the play… Macbett is a chap his wife draws into murdering another fellow for him to step into his shoes… And in real life, our two clients were to act likewise… because there were two of them , she and her lover.”
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