Garçons sauvages (Les). Dir. Bertrand Mandico (2017)
Sarah HATCHUEL
Description en français
Si une œuvre peut entretenir avec une pièce de Shakespeare un rapport de type « source », d’autres objets filmiques sont, par conséquent, liés à Shakespeare par des liens de type « mer », selon l’expression de Stanley Cavell. Ce dernier considère, en effet, le texte shakespearien comme une « mer d’où diverses choses – des trésors, des cadavres, des coquillages, des algues, plus ou moins à volonté – ont été tirées pour être entassées sur les plages du divertissement populaire [1] ». Avec son film Les Garçons sauvages (2017), le réalisateur Bertrand Mandico illustre la citation de Cavell de manière quasi littérale tant les échos et motifs shakespeariens se mêlent à des trésors, cadavres et algues échoués sur une île déserte. Dans ce film tourné en 16mm, oscillant entre le noir et blanc et la couleur, cinq adolescents insolents, violents et macho, au début du XXe siècle, jouent devant leur enseignante de français la scène où les sorcières de Macbeth se réunissent, avant de la violer et de la tuer. Ils sont mus par une force qu’ils appellent Trevor et qui prend la forme d’un crâne recouvert de pierres précieuses. Afin de les punir et les mater, leur famille les confie à un Capitaine, qui les embarque sur son voilier, les rudoie et leur fait manger des fruits étranges. Le Capitaine déchire leurs livres de Shakespeare et les jettent par-dessus bord, rappelant la noyade du Folio dans Prospero’s Books de Peter Greenaway (1991). Ils arrivent sur une île qui ne figure sur aucune carte, où des plantes luxuriantes et aux formes très suggestives encouragent à l’érotisation de toute chose, en écho à la fleur de Puck dans Le Songe d’une nuit d’été. Le Capitaine les force à repartir en bateau mais, au cours d’une tempête, les garçons se rebellent, jettent le Capitaine à l’eau et font naufrage. Ils s’échouent de nouveau sur l’île où ils retrouvent le cadavre du Capitaine. C’est alors que les garçons (joués par des actrices) commencent à perdre leurs attributs masculins, se métamorphosent en jeunes filles et découvrent que l’île est contrôlée par le Dr Severin(e), sorte de Prospero devenue femme, dont les expériences scientifiques et médicales tentent d’agir sur la violence du monde en féminisant/castrant les « garçons sauvages ». Le Dr Severin(e), qui parle souvent en anglais et dont le nom évoque le verbe « to sever » (sectionner/couper en anglais), cite régulièrement les pièces de Shakespeare. Quand elle demande aux garçons ce qu’ils pensent de devenir femmes, elle leur précise « Rien n’est bon ni mauvais en soi, tout dépend de ce que l’on en pense », rappelant mot pour mot la phrase d’Hamlet à Rosencrantz : « There is nothing either good or bad, but thinking makes it so ». Menacée d’être exécutée par les garçons-devenus-filles, elle lance un regard-caméra explicite aux spectateurs en lançant « Le tout est d’être prêt », reprenant la phrase « The readiness is all » que prononce Hamlet avant de se résoudre à se battre en duel avec Laërte. Tandis que les garçons-filles rejouent la scène des sorcières à des matelots à la fin du film, Severin(e) énonce la prophétie selon laquelle aucun homme né d’une femme ne pourra nuire à Macbeth. Le film combine ainsi Macbeth, Hamlet, La Tempête et Le Songe d’une nuit d’été dans une expérience onirique qui, comme les pièces de Shakespeare, joue sur les métamorphoses, les images de memento mori et les jeux vertigineux entre le féminin et le masculin. Les Garçons sauvages tissent des liens entre trois types de pièces shakespeariennes – les tragédies, les comédies et les romances. Prospero se métamorphose tour à tour en sorcière ou prince danois ; les garçons sont à la fois les figures démoniaques de Macbeth et les amants perdus dans la forêt du Songe. Le film permet alors de rappeler qu’Hamlet n’est pas simplement un « doux prince » mais adopte une attitude misogyne et violente envers Ophélie et Gertrude, et que les sorcières de Macbeth ne sont pas des modèles de paix et de tendresse : le genre masculin ou féminin n’a donc « rien de bon ou de mauvais en soi » mais se construit à l’intérieur d’un système de conventions.
1. Stanley Cavell, À la recherche du bonheur : Hollywood et la comédie du remariage, traduit de l’anglais par Christian Fournier et Sandra Laugier, Paris, Éditions de l’Étoile, 1993, p. 30.
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